DEUXIEME PARTIE : EVALUATION CRITIQUE
Etudier l’âme et le corps comme une invention de l’homme intérieur dans l’Antiquité et son renouveau dans le christianisme primitif est riche d’intérêt pour la psychologie de la religion, la psychanalyse et les autres sciences humaines telle que l’anthropologie. Mais une pareille étude fait face à de nombreuses difficultés car la psychologie de la religion reste un domaine marginal.
A-Limites d’une psychologie du Christianisme primitif
L’étude de la psychologie du christianisme primitif est d’un grand intérêt pour nous aujourd’hui dans son apport pour la psychologie et les autres domaines du savoir. Mais des limites majeures demeures : celles de l’expérimentation, des sources, de l’anachronisme. En effet, nous ne pouvons ni interroger ni observer les gens des temps passés ; nous ne pouvons qu’interpréter les sources que le hasard nous a conservées. C’est pourquoi Gerd Theissen dira que cette étude se « limite à décrire, à classer, à comprendre et à expliquer des sources qui lui sont imposées. »[1] C’est dans ce sens que nous pouvons comprendre pourquoi le professeur Jacques Philippe Tsala Tsala dira que :
La psychologie religieuse vise le fait religieux en tant qu'il se traduit par des comportements, des attitudes et des expériences subjectives. Ces données observables sont analysées avec les méthodes qui sont les siennes. Elle ne se prononce ni sur l'existence de Dieu, ni sur la valeur de la religion, ni sur la réalité de celle-ci. Elle ne justifie pas. Elle tente d'expliquer.[2]
Est-ce que dans l’Antiquité le psychisme ne fonctionnait pas de façon tout autre que de nos jours, de sorte qu’une tentative d’explication à l’aide des modèles de la psychologie d’aujourd’hui n’aurait aucun sens ? En fait, toute recherche historique est un « anachronisme contrôlé », c’est-à-dire que nous posons la plupart du temps des questions que les gens qui font l’objet de notre étude ne se posaient pas. Nous inventons même, là où nous imaginons avoir trouvé quelque chose. En voici un exemple. Pour se prémunir contre les anachronismes, une psychologie du christianisme primitif devrait commencer par une description de la conception qu’on se faisait alors de la personne et de l’âme, conception qui nous est étrangère. Notre notion de la personne comme unité est apparue au fil du temps. Dans l’Antiquité, nous rencontrons des âmes extérieures (comme le Kâ et le Bâ, en Égypte), c’est-à-dire des âmes qui peuvent déserter l’homme et mener une vie en dehors de lui comme son double. De même, nous trouvons la croyance que plusieurs âmes peuvent exister dans la même personne. L’homme n’a pas toujours eu un centre à l’intérieur de lui-même. Mais dans l’Ancien Testament et dans la philosophie grecque, ces âmes extérieures ont pratiquement disparu, et la vie intérieure a désormais un centre. L’homme intérieur a été inventé : chez les Grecs, par la subordination de toutes les forces intérieures à la raison, en Israël, par l’orientation de l’homme tout entier vers Dieu. Dans l’Antiquité, cependant, cette unité intérieure a été toujours à nouveau remise en question. Dans la littérature intertestamentaire et dans celle de l’Antiquité tardive, nous rencontrons un regain de croyance aux démons et aux forces multiples des âmes. Des puissances démoniaques et l’esprit de Dieu se disputent la souveraineté sur l’homme, qui est divisé. Le christianisme primitif est apparu dans ce monde-là avec la prétention de renouveler l’homme intérieur. C’est par le salut que l’homme doit retrouver son unité. Si nous interprétons aujourd’hui ce genre d’assertions comme la réintégration de personnalités dissociées, on pourrait encourir le reproche d’anachronisme.
Une psychologie du christianisme primitif devrait en tout cas commencer par décrire ces conceptions de l’âme et de la personne qui nous sont étrangères. Nous ne sommes pas désarmés face au risque d’anachronisme : ce qui nous est étranger, nous pouvons le comprendre en tant que tel. Le manque de sources et l’anachronisme ne sont que deux des objections qu’on peut faire à une psychologie du christianisme primitif. Mais elles ne devraient pas nous empêcher d’essayer d’élaborer une telle psychologie. Certes, l’état de la recherche est peu encourageant. Peut-on faire progresser la connaissance en décrivant, en classifiant, en interprétant et en expliquant l’expérience de vie et le comportement des premiers chrétiens ? Paradoxe ou continuité dans la conception de l’âme et du corps ? On constate qu’il y a une différence de conception anthropologique en fonction des auteurs sacrés et des sociétés.
B-Influence du dualisme platonicien
La philosophie grecque avec Platon, affirme une conception dualiste de l’âme et du corps. « Âme et corps sont comme deux substances unies, mais dont les réseaux d’activités sont séparés. L’âme est en lutte avec le corps. L’âme a ses activités autonomes, et le corps les siennes.»[3] Cette conception dualiste de l’homme va fortement influencer le christianisme primitif et laisse encore ses marques dans la pensée contemporaine.
La conception paulinienne de l’homme est fortement marquée par l’influence du dualisme platonicien. Platon en effet dans son dualisme fait une nette différence entre «l’homme intérieur et l’homme extérieur ». Dans la dynamique psychologique de l’image paulienne de l’homme, on observe l’opposition entre esprit et chair (pneuma et sarx). Cette opposition conduit à une différenciation importante entre corps et chair (sôma et sarx) : le corps est spiritualisé et la chair est démonisée et devient par là ennemie de Dieu. Platon distinguait dans son anthropologie, l’« enveloppe extérieure » de « l’homme intérieur ».[4]
Dans la dynamique des profondeurs des gnostiques, c’est seulement par la connaissance que l’homme parvient au soi véritable oublié et l’homme qui vit ici bas est l’âme extérieure exilée d’un soi véritable résidant au ciel. Cette vision gnostique traduit également l’influence du platonisme. Platon en effet dans sa théorie de la connaissance par de la réminiscence comme mode de connaissance.
Le dualisme occidental a le plus souvent dévalorisé le corps pour exalter l’âme. Comme le fait remarquer Xavier Lacroix, nous vivons dans une société qui a fortement changé de considération du corps. Le corps est sujet d’une jouissance éphémère. Ce qui entraine la banalisation de la sexualité.[5] Ce dualisme sera repris par la postérité.
Les philosophes mécanicistes (DESCARTES, HOBBES, LOCKE et HUME) laisseront déjà entendre que certaines actions tireraient leur origine de forces internes ou externes sur lesquelles nous n'avons aucun contrôle. Pour HOBBES par exemple, quelles que soient les raisons invoquées pour expliquer notre conduite, la cause sous-jacente de tout comportement est la tendance à rechercher le plaisir et à éviter la douleur.[6]
Pour Descartes à travers son dualisme, le corps de l’homme n’est qu’une participation à la nature. L’homme selon lui n’est qu’un complexe de nature et de substance pensante.
Et partant, de delà même que je connais avec certitude que j’existe, et que cependant je ne remarque point qu’il appartienne nécessairement à autre chose que ma nature, ou à mon essence, sinon que je suis une chose qui pense, je conclus fort bien que mon essence consiste en cela seul que je suis une chose qui pense, ou une substance dont toute l’essence ou la nature est de penser. Et quoique peut-être (ou plutôt certainement, comme le dirait tantôt) j’aie un corps auquel je suis très étroitement conjoint, néanmoins pour ce que d’un côté j’ai une claire et distincte idée de moi-même, en tant que je suis seulement une chose qui pense et non étendue et qui ne pense point, il est certain que ce moi , c’est-à-dire mon âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement et véritablement distincte de mon corps, et qu’elle peut être ou exister sans lui.[7]
Cette distinction n’a pas encore été totalement évacuée de la théologie classique. C’est pourquoi Joseph Comblin dira que :
La théologie n’a jamais vraiment réussi à accorder au corps toute sa valeur ni à les unir réellement. L’âme et le corps y sont comme deux quasi-substances associées par une union jamais harmonieuse. Le corps reste privé de son prestige, lié à la matière, elle aussi dévalorisée. L’âme se manifeste par la vie intellectuelle et par les actes de la volonté, c’est-à-dire la conscience. Si l’homme est image de Dieu, on pense que c’est uniquement en vertu de l’âme et de ses activités. Ce qui fait la dignité de l’homme c’est la conscience. […] le corps est conçu comme un instrument de l’âme, afin que l’âme puisse agir dans le monde. L’activité intellectuelle est séparée de l’activité corporelle ou manuelle. Le travail manuel est inferieur à la contemplation.[8]
C-Critique de la psychanalyse freudienne
La psychanalyse avec Freud s’est voulue une évacuation de Dieu qui selon lui est une illusion[9]. Dans ce sens « la psychanalyse se propose de réparer l'erreur qui a longtemps consisté à séparer l'âme du corps. Elle se veut une synthèse permettant de saisir ce qu'on pense et de penser ce qu'on ressent.»[10] Mais une analyse de la psychologie implicite présente dans les textes de l’Antiquité permet de reconnaître facilement les précurseurs de la psychologie scientifique. On observe ainsi la proximité de la psychanalyse classique de Sigmund Freud avec des auto-interprétations préscientifiques. Freud utilise à la fois le langage de l’esprit et du corps. Freud parle du surmoi, du moi et du çà pour désigner le préconscient, le conscient et l’inconscient. Or, Avec Theissen, nous avons découvert que le christianisme primitif prenait déjà conscience de cette différenciation entre les forces sujettes à notre contrôle et les forces qui nous échappent.
Freud parle également des deux pulsions de l’éros et thanathos qui sont les pulsions de vie et de morts. Dans l’antiquité, nous voyons bien que les hommes avaient déjà conscience de ces deux pulsions. C’est pourquoi Paul parlera de la chair comme conduisant à la mort et de l’esprit comme force de vie. Et même il distinguera la chair du corps. La chair est source de péché tandis que le corps nous élève vers Dieu.
Comme Paul, l’anthropologie développée par la psychanalyse s’inscrit dans une dynamique de transformation et dans une dynamique des profondeurs : l’être humain en situation de dépendance doit être rendu capable de conduire sa vie de façon responsable. Là où était le çà, le moi doit prendre place. L’inconscient doit et peut être transformé en direction du conscient.
D-L’unité de la personne humaine comme dépassement du dualisme âme et corps
Presque toutes les grandes cultures de l’humanité ont déprécié le corps humain. On l’a traité comme s’il était une prison qui retiendrait captive la véritable humanité, laquelle consiste dans les valeurs intellectuelles. L’Evangile chrétien ignore cette séparation entre le corps et l’âme, il ignore ce mépris à l’égard du corps, même si au cours de l’histoire il est arrivé souvent, presque toujours, aux chrétiens de retomber dans les déformations des autres grandes cultures. D’une certaine façon, l’on peut dire que l’homme est son corps et son corps contient tout ce qui fait sa valeur.[11] Dans le langage, « Le mot « chair » ne désigne pas le corps comme étant distinct de l’âme, mais l’homme en sa faiblesse, sa mortalité, son inclination au péché.[12]
Loin de penser à une libération finale de l’âme enfin délivrée des chaînes du corps, Paul annonce une vie éternelle dans le corps. Le corps est susceptible d’une vie éternelle. Le corps peut être spiritualisé. Le corps n’est point incompatible avec l’esprit ; au contraire, l’esprit anime le corps, il devient un avec lui. Les deux formes ensemble une seule vie commune.[13] La création du corps et de l’âme sont contemporaines et indissociables. C’est au corps et à l’âme qu’est promise la vie éternelle.[14] Dans la tradition et l’agir chrétiens, le corps occupe une très grande place. Le soin des malades, par exemple, a toujours été considéré comme très important dans les communautés chrétiennes. Ainsi, comme l’affirme Maurice Corvez : « l’âme n’est plus pour nous une réalité unie extérieurement au corps. Elle lui est immanente, ne formant avec lui qu’une seule substance, un être essentiellement un, dans la dualité de ses parties composantes. Il n’y a pas deux choses en présence, mais une seule et même réalité, dont l’âme est la forme substantielle. »[15]
Pour Emmanuel Mounier, on ne peut pas dissocier le corps de l’âme. Il y a une unité psycho-organique de l’homme :
C’est l’homme tout entier, spirituel et charnel, qui dans la vie personnelle transcende les phénomènes particuliers, expression de la solidarité organo-psychique, c’est l’homme tout entier, spirituel et charnel, qui à l’autre extrémité de lui-même s’enracine sur la force vitale, prolongement en lui de la vie animale. Cette force propulsive et créatrice, cette « hormè » qui insère chacune de nos vies dans le courant totale de la Vie, on peut la dire psychique aussi bien que biologique, pourvu qu’avec le cartésianisme on ne réduise pas le psychisme au psychisme conscient : elle est, en effet, active, sélective, créatrice, et pourvu qu’avec les mécanistes on ne croie pas le biologique épuisé par des communications de mouvements. [16]
Cette caractériologie du composé humain donne elle-même prétexte à des fixations caractériologiques qui nous expliquent plusieurs résistances. Un certain spiritualisme irritable, un certain mépris du corps tantôt fanatique, tantôt délicat, sont toujours le signe d’un ressentiment mal dominé ou gauchement sublimé. La hantise de la pureté désincarnée se greffe sur le sentiment amer d’une déficience ou d’une laideur physique, sur une sexualité déçue ou freinée dans son développement normal. On traduit simplement la faiblesse des instincts. Ces diverses impuissances donnent issue à de vielles tendances sado-masochistes, que l’adulte normalement comprime. Elles s’offrent la double satisfaction de s’idéaliser dans de nobles exaltations qui ne coûtent pas grand mal et de se décharger de leurs regrets par une agressivité bien-pensente contre ce corps malvenu qui ne leur permis ni la jouissance d’y céder ni celle de le vaincre.[17]
Les dimensions du corps de l’homme ne se réduisent pas à celles de son épiderme : l’âme n’est jamais une monade close. Quand elle est unie au corps, elle est manifestement en relation avec la totalité dont le corps n’est qu’une partie, avec ce tout qui fait l’unité du monde matériel. Elle est liée à ce monde d’une manière substantielle, qui atteint jusqu’au plus profond de la réalité. A la mort, loin d’être supprimée par la disparition de sa forme corporelle, l’âme reçoit le plein achèvement avec lequel elle embrasse désormais le monde entier. Elle ne devient pas acosmique, mais acquiert au contraire, en se libérant de son corps, une plus grande proximité, un rapport plus intime avec cette unité fondamentale du monde.[18]
E-Intérêt de la psychologie du christianisme primitif pour la psychologie des religions
Les études psychologiques menées par Gerd Theissen sur le christianisme primitif est d’une grande portée pour la psychologie des religions car la religion a une grande influence sur l’homme de telle enseigne que tout ce qu’il puisse faire est déterminé par le sentiment ou le fait religieux, le professeur Jacques Philippe Tsala Tsala ne manque pas de faire cette remarque :
Comme fait social, la religion engendre nécessairement un système d'organisation et de représentation du monde. Elle structure ce qu'elle prescrit. De sorte que toute religion a des savoirs et des pouvoirs qui, d'une manière ou d'une autre, modulent les comportements (religieux). Mais l'univers dans son ordre est souvent angoissant et menaçant. La religion tente de l'expliquer, de le légitimer, de le préserver, de l'entretenir. Dès lors, l'émergence de la religion comme objet positif de savoir apparaît d'emblée comme la manifestation du désir d'avoir prise sur elle au lieu de la subir. [19]
Tel que Gerd Theissen nous a présenté le passage de l’âme extérieure à l’âme intérieure dans l’antiquité, on peut parler d’une forme d’évolution de l’homme religieux. L’homme est passé du polythéisme au monothéisme. Et le polythéisme initial était une forme d’animisme. Et pour le professeur Jacques Philippe Tsala Tsala :
Dans son sens général, le terme "animisme" [anima= âme en latin] désigne la croyance aux âmes et aux esprits. Il se réfère à la théorie d'Edward B. TAYLOR (1832-1917) selon laquelle la croyance aux esprits représenterait la première forme historique de la religion, avant d'évoluer vers le polythéisme et le monothéisme. Mais ce cens a été abandonné par les anthropologues modernes. C'est de l'animisme que de reconnaître que quelque chose existe en l'homme et lui survit. Il est du reste possible que la croyance en l'existence d'une âme ait précédé l'idée de Dieu ou des dieux. Mais aussi, la croyance en l'existence d'un ou de plusieurs esprits habitants les êtres et les choses a pu être à l'origine de la croyance en une âme humaine. Pour l'essentiel, l'animisme est la croyance et la reconnaissance de quelque chose qui survit en l'homme.[20]
Pour les gnostiques, les hommes sont répartis par origine en trois catégories : les charnels, les psychiques et les spirituels ou pneumatiques. Quoi que fasse chacun, il suivra le destin de sa catégorie : les charnels et les corps seront perdus ; les psychiques n’auront qu’un demi-salut au niveau de l’Intermédiaire ; les pneumatiques pourront retourner dans le plérôme. La liberté de chacun n’a aucune place dans la pensée gnostique[21].
La conception que l’homme a de son corps, de l’âme et de l’esprit détermine son comportement psychologique, social et religieux. L’homme vit en fonction de sa conception de l’âme et du corps. La naissance, la croissance, l’éducation, les relations interpersonnelles, les relations avec la transcendance, les croyances sont influencées par la compréhension de l’âme et du corps. Il y a ainsi un lien étroit entre anthropologie, psychologie, religion. Les travaux de Gerd Theissen constituent ainsi un enrichissement de la recherche de la psychologie de la religion.
F-La psychologie du mythe dans l’horizon de la psychologie du christianisme primitif
Le christianisme primitif ne s’est pas totalement purifié des mythes pour désigner et expliquer les relations corps et âme. C’est pourquoi Bultman pense qu’il faut démythiser le message religieux du Nouveau Testament. Mais Jacques Philippe Tsala Tsala pense que : « Le mythe échappe à la logique. Il est irrationnel, il ne s'explique pas. Personne ne sait comment il est né. Bien qu'anhistorique il a une histoire. Il vit, meurt et renaît de ses cendres. Son image se transforme mais garde sa vérité. Aussi est-il difficile à définir. »[22] C’est ainsi que nous pouvons constater qu’il y a comme une forme d’anachronisme dans la conception de l’homme dans la conception anthropologue du christianisme primitif. C’est ce qui justifierait les différents types de « psychodynamisme » présentés par Gerd Theissen.
On a constaté en effet que l’homme est vue du point de vue éthique chez Matthieu, du point de vue sotériologique chez Jean tandis que Paul l’aborde du point de vue de transformation et le Pasteur d’Hermas comme les gnostiques vient en l’homme l’expression des forces qui l’échappent et qui ne dépendent pas de lui. L’homme est vu tantôt comme une unité dans son corps et son âme, tantôt il est vu en termes de dualisme où le corps et l’esprit sont en confrontation. L’un le tire vers le bas et l’autre vers le haut à l’instar du dualisme platonicien. Ainsi, nous pensons avec le professeur Jacques Philippe que : « La psychologie religieuse doit donc tenir compte du mythe parce que le mythe qui n'est pas mensonge est d'abord un conservatoire dynamique ouvert indéfiniment à la vérité. La psychologie des profondeurs l'utilise abondamment. »[23] Car « tout mythe qu'on tue engendre un autre mythe qui se nourrit du premier ou le restaure. »[24] C’est dans ce sens par exemple que nous avons constaté avec Gerd Theissen que la dynamique des profondeurs chez les gnostiques est liée à l’étincelle de l’âme. L’homme selon eux a oublié son soi céleste et la « connaissance » doit le lui rappeler. Cette conception n’est pas loin du platonisme qui prône la réminiscence comme mode de connaissance pour permettre à l’homme de se souvenir de ce qu’il sait déjà.
CONCLUSION
Au terme de ce travail, il était question pour nous de faire la recension du premier chapitre L’âme et le corps. Une approche psychologique de la conception de l’âme et du corps dans l’antiquité juif et grec et son renouvellement dans le christianisme primitif de l’ouvrage de Gerd Theissen intitulé Psychologie des premiers chrétiens. Héritages et ruptures. Il ressort que l’âme que le monde moderne a perdue a été inventée il y a longtemps. La réflexion des hommes sur eux-mêmes se faisait à l’origine de façon indirecte en passant par des « âmes extérieures » qui, en tant que doubles, forces de vie et esprits des morts, n’étaient pas localisées en l’homme. Les anciens faisaient l’expérience directe d’eux-mêmes en postulant l’existence à l’intérieure d’eux-mêmes d’une multiplicité de forces et d’organes. C’est grâce à l’intériorisation de l’âme extérieure seulement et au recentrement des forces intérieurs qu’est née l’ « âme » en tant qu’unité intérieure. Le chemin est long qui va de l’invention et de la découverte de l’homme intérieur jusqu'à Paul et aux gnostiques. Dans l’Ancien Testament, cela s’est fait par l’orientation totalement engagée de l’homme vers le Dieu un et unique. A l’époque intertestamentaire, elle fut renforcée par le renoncement à Satan. En Grèce, cela s’accomplit par la subordination de toutes les âmes des organes au commandement de la raison. De ce fait, s’est développée en Grèce une image cognitive de l’homme et en Israël une image volitive de ce dernier. L’homme intérieur est renouvelé dans le christianisme primitif. Après que l’Antiquité eut découvert l’ « homme intérieur », le christianisme primitif, en le renouvelant, découvrit les premiers éléments de l’ « inconscient » dans l’homme intérieur.
Nous avons pu constater l’existence de quatre modèles d’attribution des causes dans le christianisme primitif: l’homme interprète son agir soit comme hétérodynamique, c’est-à-dire comme dépendant de facteurs extérieurs tels les dieux ou les démons. Mais il peut également s’attribuer à lui-même les causes de son comportement, de façon autodynamique, lorsqu’il interprète des impulsions irrationnelles comme des affects qui lui sont intérieurs et non dépendants de l’action d’un démon. Lorsqu’il y a une différenciation temporelle de ces possibilités, on vient à une image de l’homme comprise en termes de dynamique de transformation : l’homme espère la transformation d’une hétérodynamique en une autodynamique, on craint de tomber de la détermination par soi-même à la dépendance. Lorsque la différenciation est spatiale, on vient à une image de l’homme définie par une dynamique de profondeurs : l’homme interprète sa vie comme dépendant de puissances qu’il situe à l’intérieur de lui-même, mais qu’il ne perce pas à jour et qu’il ne maîtrise pas. Ainsi la dimension éthique de l’évangile de Matthieu est l’autodynamique. Chez Jean, l’image de l’homme est hétérodynamique : l’homme doit être sauvé. L’image de l’homme chez Paul est transformative : l’homme est un passage. Et chez le Pasteur d’Hermas et dans la gnose, l’homme est perçu dans une dynamique de profondeur car certaines forces l’échappent sans qu’il puisse les maîtriser.
Loin de s’opposer, la psychologie et la religion peuvent nous renseigner sur l’homme dans sa constitution comme corps et esprit. La psychologie a besoin de la religion pour mieux comprendre l’homme et vis-versa. La psychologie de la religion, discipline nouvelle dans le champ du savoir scientifique conserve toute sa pertinence aujourd’hui dans notre contexte de la mondialisation marqué par un sécularisme qui veut évacuer à tout prix et à tous les prix l’idée de Dieu au nom de la liberté et de l’autonomie de l’homme. Cette interrogation de l’homme sur l’idée de Dieu à toute sa portée en psychologie de religion. Le professeur Jacques Philippe Tsala Tsala l’exprime en ces termes :
Il y a toujours lieu de s'interroger sur ce qui pousse l'homme à croire à une puissance invisible. Ici, le rapport à l'autre paraît fondamental dans la mesure où la religion est vécue comme relation à un tout-Autre. L'idée du divin va de pair avec la nature de la relation à autrui. Le problème est donc de savoir pourquoi l'homme est religieux. Pourquoi il fonde l'existence et la certitude sur l'absence. Pourquoi ? La question est psychologique parce qu'elle vise les motivations de la croyance et du comportement religieux. Il s'agit en réalité du problème de la nécessité de l'idée de Dieu dans la vie d'un individu ou celle d'une communauté.[25]
BIBLIOGRAPHIE
Source
Bible TOB, Cerf, Paris, 2001
Ouvrages
COMBLIN Joseph, Anthropologie chrétienne, traduit de l’espagnol par Raymond Paratta, Cerf, Paris, 1991
CORVEZ Maurice, Points chauds de la pensée religieuse moderne, Téquin Paris, 1979
DESCARTES René, Méditations métaphysiques, Deuxième méditation, Vrin, Paris, 1967
LACROIX Xavier, Le corps et l’esprit, édition Vie chrétienne, Paris, 1995
MOUNIER Emmanuel, Traité du caractère, Coll. « Esprit», Seuil, Paris, 1947
PLATON, République, Livre IX
SESBOUE Bernard, Tout récapituler dans le Christ. Christologie et sotériologie d’Irénée de
Lyon, Desclée, Paris, 2000
THEISSEN Gerd, Psychologie des premiers chrétiens. Héritage et rupture, traduit de l’allemand par Joseph Offmann, Labor et fides, Genève, 2011
TSALA TSALA Jacques Philippe, Cours de Psychologie de la Religion, syllabus en usage à ETSC-Ngoya en troisième année de Théologie, inédit
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION.. 1
PREMIERE PARTIE : L’AME ET LE CORPS : l’invention de l’homme intérieur dans l’Antiquité et son renouveau dans le christianisme primitif. 3
A- L’invention de l’homme intérieur dans l’Antiquité. 4
i- La localisation de l’âme extérieure dans l’intérieur 4
ii- Le recentrement de l’âme intérieur 5
iii- Le développement de la vision de l’homme en Israël 5
iv- Le développement de la vision de l’homme en Grèce. 6
v- Expériences religieuses modérés et extrêmes. 7
B- Le renouvellement de l’homme intérieur dans le christianisme primitif. 8
i- Autodynamisme dans l’évangile de Matthieu : l’image éthique de l’homme. 8
ii- Hétérodynamisme dans l’évangile de Jean : l’image sotériologique de l’homme. 9
iii- Dynamique de transformation chez Paul : l’image de l’homme comprise en termes de transformation 10
iv- L’inconscient dans l’image de l’homme : deux formes de dynamique des profondeurs : le refoulement du péché et du soi 12
DEUXIEME PARTIE : EVALUATION CRITIQUE.. 14
A- Limites d’une psychologie du Christianisme primitif. 14
B- Influence du dualisme platonicien. 15
C- Critique de la psychanalyse freudienne. 17
D- L’unité de la personne humaine comme dépassement du dualisme âme et corps. 17
E- Intérêt de la psychologie du christianisme primitif pour la psychologie des religions. 19
F- La psychologie du mythe dans l’horizon de la psychologie du christianisme primitif. 20
CONCLUSION.. 22
BIBLIOGRAPHIE.. 24
TABLE DES MATIERES. 25
[1] Gerd Theissen, Op. Cit., p. 15
[2] Jacques Philippe Tsala Tsala, Op. Cit., p. 5
[3] Joseph Comblin, Anthropologie chrétienne, traduit de l’espagnol par Raymond Paratta, Cerf, Paris, 1991, p. 69
[4] Cf. Platon, République, Livre IX, 588b
[5]Cf. Xavier Lacroix, Le corps et l’esprit, édition Vie chrétienne, Paris, 1995, p. 6
[6] Jacques Philippe Tsala Tsala, Op. Cit, p. 27
[7] René Descartes, Méditations métaphysiques, Deuxième méditation, § 16, Vrin, Paris, 1967, p. 32
[8] Joseph Comblin, Op. Cit., p. 69
[9] Jacques Philippe Tsala Tsala, Op. Cit, p. 32
[10] Ibidem, p. 41
[11] Cf. Joseph Comblin, Op. Cit, p. 64
[12] Cf. Ibidem, p. 66
[13] Cf. Ibidem, p. 67
[14] Cf. Xavier Lacroix, Op. Cit, p. 7
[15] Maurice Corvez, Points chauds de la pensée religieuse moderne, Téquin, Paris, 1979, p. 22
[16] Emmanuel Mounier, Traité du caractère, Coll. « Esprit», Seuil, Paris, 1947, p. 119
[17] Cf. Ibidem, pp. 120-121
[18]Cf. Maurice Corvez, Op. Cit., pp. 27-28
[19] Jacques Philippe, Op. Cit., p. 7
[20] Ibidem, p. 12
[21] Cf. Bernard Sesboüé, Tout récapituler dans le Christ. Christologie et sotériologie d’Irénée de Lyon, Desclée, Paris, 2000, p. 94
[22] Jacques Philippe, Op. Cit., p. 18
[23] Ibidem, p. 20
[24] Ibidem, p. 21
[25] Ibidem, p. 27