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8 décembre 2013 7 08 /12 /décembre /2013 21:53

La problématique du rapport entre la foi et la raison est présente aussi bien dans l’histoire de la philosophie que dans celle de la théologie. Car  autant que l’homme est défini comme un être religieux de même, il est aussi défini comme être raisonnable. En ce sens la question de la relation entre ces deux dimensions de sa personne est importante. L’histoire nous révèle un foisonnement de  réponses à ce problème du rapport entre la foi et la raison qui revient à celui du rapport entre théologie et philosophie. Cependant, deux d’entre elles apparaissent comme les plus significatives. D’un côté, une tendance conciliatrice qui voit dans la raison et la foi  deux sources de connaissance qui doivent être mises ensemble pour parvenir à la vérité. De l’autre côté, une tendance séparatiste qui conçoit la raison comme la seule source de la connaissance de la vérité et voit dans la foi un obstacle à l’émergence de cette raison. C’est de cette tendance dont notre contexte actuel est héritier ; autrement dit le monde d’aujourd’hui est marqué par la séparation entre la foi et la raison qui a pris cours avec la philosophie moderne de Descartes ; atteint son apogée avec l’illuminisme d’Emmanuel  Kant et  les différentes philosophies antimétaphysiques et antireligieuses.

Dans un tel contexte la foi et la raison se sont appauvries mutuellement et la recherche de la vérité obscurcie. Mais c’est là aussi que se révèlent plus que jamais une grande soif de sens et une recherche passionnée de la vérité. C’est ainsi que le pape Jean Paul II dans l’objectif de redéfinir de façon claire et nette les rapports  entre foi et raison publiait, il y a 15 ans, une encyclique pour « faire part de quelques réflexions sur la voie qui conduit à la vraie sagesse », voie qui selon lui passe par la conjugaison de la foi et de la raison qui sont « les deux ailles qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité »[1].

Nous voulons dans ce travail nous arrêter sur cette encyclique pour répondre à la question de savoir quelle est la pertinence de Fides et ratio pour le discours théologique chrétien. Pour y répondre, nous allons d’abord faire une étude historico-analytique de l’encyclique pour présenter son auteur, son contexte de publication et ses grandes articulations. Ensuite, nous entrerons dans le cœur de ce travail en réfléchissant sur sa pertinence pour la théologie chrétienne en générale et pour la théologie fondamentale en particulier.  Enfin, nous réfléchirons sur l’actualité de Fides et ratio à la lumière de certaines problématiques de l’heure comme le drame actuel de la séparation entre la foi et raison, la nouvelle évangélisation et l’inculturation, le dialogue interreligieux.

I.1 Auteur et Contexte

I.1.1 L’auteur[2] :

       Karol Wojtyla, qui prendra ensuite le nom de Jean-Paul II, naît en 1920 à Wadowice, une petite ville de Pologne.   Karol Wojtyla est ordonné prêtre le 1er novembre 1946. Il est ensuite envoyé à Rome pour compléter sa formation. Il y reste deux ans et soutient une thèse en théologie sur « La foi dans la pensée de saint Jean de la Croix ».  En 1958, Karol Wojtyla est nommé évêque auxiliaire de Cracovie par le pape Pie XII. Il devient, à 38 ans, le plus jeune évêque de Pologne. Le 13 janvier 1964, il devient archevêque de Cracovie. En 1967, Paul VI le crée cardinal. C’est le 16 octobre 1978 que le Cardinal Wojtyla est élu pape par les cardinaux au Vatican. Il prend à partir de ce moment-là le nom de Jean Paul II.

       Il contribuera à l'effondrement du communisme en Europe de l'Est. Cependant, tous ces combats ne font pas l’unanimité. Le pape avait ainsi des positions très conservatrices sur les questions de morale et de la famille. Cet ardent défenseur du droit à la vie a rappelé l'opposition de l'Église à l'avortement et l'euthanasie. Il réaffirme en février 1993 son opposition au préservatif, précisant que "la chasteté est le seul moyen pour mettre fin à la plaie tragique du SIDA".  Il œuvra également pour le dialogue interreligieux, à l’exemple des conférences d'Assise pour la paix (en 1986 et 2002).

Le 264ème pape a marqué les esprits par le renouveau qu’il a apporté à l’Église catholique. Charismatique et proche des fidèles, il œuvra pour la justice et la dignité de tous. On retiendra de son pontificat (le 3ème plus long de l'histoire) ses nombreux voyages, la lutte contre le communisme et le nazisme, la volonté de rapprochement entre les religions, et son attachement aux valeurs traditionnelles. Au nombre de ses documents majeurs, on compte 14 lettres encycliques, 15 exhortations apostoliques, 11 constitutions apostoliques et 45 lettres apostoliques.

Jean-Paul II meurt au Vatican le 2 avril 2005 à 21 h 37. Le 1er mai 2011, il fut béatifié par le pape Benoît XVI.

 

I.1.2. Contexte.

            La lettre encyclique Fides et ratio est l’œuvre du pape Jean Paul II, écrite juste avant l'an 2000 en date du 14 septembre 1998, fête de la Croix glorieuse car la croix est le lieu d’une rencontre difficile mais féconde entre la foi et la raison. Elle est  la dernière lettre encyclique parue au XXe siècle. Le pape s’adresse d’abord aux évêques, les frères avec qui il partage la mission de manifester la vérité. Il s’adresse en plus aux théologiens et aux philosophes, auxquels revient le devoir de s’acquérir des différents aspects de la vie, il s’adresse enfin aux personnes qui sont à la recherche de la vraie sagesse. Fides et ratio est le résultat d’une réflexion sapientielle de Jean Paul II qui s’est inspiré de ses prédécesseurs qui ont aussi traité des questions sur la foi et la raison.           

Ce document est écrit vers la fin du vingtième siècle, une période de changements rapides et complexes qui expose surtout les jeunes générations, auxquelles appartient l’avenir qui risquent de perdre quelques points de repères et quelques vérités fondamentales de la doctrine catholique et d’être déformées ou rejetées, d’où une nécessité de parler de la vérité et son fondement par rapport à la foi.                                                                                 

            Pendant cette même période, la théologie catholique fait face à une crise postmoderne de la raison classique elle-même, qui a des graves conséquences pour l’intellectus fidei. L’idée de la vérité semble très problématique. La recherche de la vérité ultime apparait souvent occultée. Certains penseurs rejettent l’idée selon laquelle la vérité révélée de Dieu à la foi suppose la raison du croyant et la stimule car la vérité de la Parole de Dieu doit être examinée et scrutée par lui, ainsi commence l’intellectus fidei qui n’a nullement pour objectif de remplacer la foi[3]. C’est ainsi que le pape souligne à ce propos :

Il m'a semblé urgent de rappeler par cette encyclique le grand intérêt que l'Église accorde à la philosophie ; et plus encore le lien profond qui unit le travail théologique à la recherche philosophique de la vérité. De là découle le devoir qu'a le Magistère d'indiquer et de stimuler un mode de pensée philosophique qui ne soit pas en dissonance avec la foi. Il m'incombe de proposer certains principes et certains points de référence que je considère comme nécessaires pour pouvoir instaurer une relation harmonieuse et effective entre la théologie et la philosophie.[4]

Bref, Si le pape publie Fides et ratio, ce n’est pas seulement pour dire son estime profonde pour la philosophie, c’est parce qu’il discerne une menace pesant sur la philosophie en tant que recherche de la vérité ultime. Et cette menace touche l’Église car, pour elle, la philosophie, en plus de sa mission propre, joue un rôle essentiel au service de l’intelligence de la foi. L'encyclique indique ainsi des pistes nouvelles pour le IIIe millénaire en soulignant que la philosophie reste une aide indispensable pour approfondir l’intelligence de la foi et pour communiquer la vérité de l’Evangile à ceux qui ne la connaissent pas encore.

I.2 Problématique et articulation de l’encyclique

I.2.1. Problématique

L’Église ne peut qu’apprécier les efforts de la raison pour atteindre des objectifs qui rendent l’existence personnelle toujours plus digne. Elle voit dans la philosophie le moyen de connaître des vérités fondamentales concernant l’existence de l’homme. En même temps elle considère la philosophie comme une aide indispensable pour approfondir l’intelligence de la foi et pour communiquer la vérité de l’Evangile à ceux qui ne la connaissent pas encore.    

  L’Église, malheureusement, se heurte devant un nouveau défi qui se présente, la forte tentation de séparer la foi et la raison qui domine la fin du vingtième siècle oubliant que le dialogue entre la foi et la raison, entre la théologie et philosophie, est donc requis non seulement par la foi mais aussi par la raison. Ce dialogue, selon le pape, est nécessaire, parce qu’une foi qui rejette la raison ou la méprise, risque de dégénérer en superstition ou en fanatisme, tandis qu’une raison qui délibérément se ferme à la foi, même si elle est susceptible des grandes avancées, ne pourra pas atteindre les plus hauts sommets de ce qui peut être connu.  Bref, la Foi et la Raison sont comme les deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité, nous dit le pape. 

Aujourd’hui, la théologie catholique doit faire face à la crise postmoderne de la raison classique elle-même, qui a de graves conséquences pour l’intellectus fidei. Ainsi, naissent diverses formes d’agnosticisme et de relativisme qui font que la recherche philosophique s’égare dans un scepticisme général. Tout devient une simple opinion, toutes les positions se valent et on tombe dans un subjectivisme total. 

Forte de la compétence qui lui revient du fait qu’elle est dépositaire de la Révélation de Jésus Christ, l’Église, face à ces problèmes, entend réaffirmer la nécessité de la réflexion sur la vérité. C’est ainsi que le Pape, pasteur de l’Église et témoin de la vérité divine et catholique, pense qu’en réaffirmant la vérité de la foi, nous pouvons redonner à l’homme de notre époque une authentique confiance en ses capacités cognitives et lancer à la philosophie le défi de retrouver et de développer sa pleine dignité. Il est aussi urgent de parler du thème de la vérité et sur son fondement par rapport à la foi car quelques vérités fondamentales de la doctrine catholique, risquent d’être déformées ou rejetées.

 

I.2.2. Articulation de la lettre encyclique

L’encyclique Fides et ratio commence par une introduction suivie de sept chapitres et se termine par une conclusion. Ce document est fait en numéros sous forme de paragraphes. Ils vont de numéro 1 au numéro 108.

Dans l’introduction (no1-6), le pape Jean Paul II présente l’homme comme un animal chercheur de vérité. Au cœur de l’homme se trouve ainsi inscrite une quête de sens qui donne l’orientation de l’existence : qui suis-je ? D’où viens-je et où vais-je ? Tel est le sens de l’adage socratique : « Connais-toi toi-même ». Jean-Paul II montre bien comment ces questions sont présentes dans toutes les cultures humaines : c’est le Christ incarné qui est la réponse à cette recherche de vérité en tant qu’universel concret. L’Église, en tant que témoin de la Vérité du Christ, en appelle à une réflexion renouvelée sur la vérité et provoque la philosophie à redevenir une sagesseembrassant les grandes questions de l’existence et à retrouver sa vocation métaphysique originelle. Telle est la raison pour laquelle Jean-Paul II entend concentrer son attention sur la véritéet sur son fondementpar rapport à la foi. Jean-Paul II développe sa pensée en trois étapes : il examine d’abord les vocations respectives de la foi et la raison, avant de présenter le combat spirituel de la raison et de la foi, et enfin la mission aujourd’hui de la raison et de la foi.

Le premier chapitre nous parle de la révélation de la sagesse de Dieu (no7-15).  L’Église vit, comme le souligne le pape, dans la conscience que Dieu s’est donné à connaître par Jésus, son fils. Contre le rationalisme qui voudrait limiter la connaissance vraie au seul fruit des capacités naturelles de la raison humaine, l’Église soutient que la foi possède en propre une véritable connaissance et qu’il ne faut pas mélanger deux ordres de connaissance qui ne se confondent pas ni ne s’excluent : la connaissance par la raison naturelle et la connaissance par la foi, les vérités que l’on peut atteindre par la raison naturelle et les mystères qui ne nous sont donnés à connaître que par la Révélation. Cependant, étant manifestation de Dieu, cette Révélation demeure à jamais empreinte de mystère. Même rendue accessible à la foi, elle reste une vérité insondable. C’est pourquoi l’acte de foiest, par nature, un acte d’obéissance à Dieu qui se révèle.                                                                 

Credo ut intellegam, voilà le titre du deuxième chapitre (no16-23) dans lequel le pape Jean-Paul II souligne l’unité entre la connaissance de la raison et celle de la foi, cette dernière permettant l’approfondissement et l’affermissement de ce qu’appréhende la raison humaine. Il n’y a donc pas de concurrence entre la raison et la foi, et la foi n’intervient pas pour réduire l’autonomie de la raison. Elle intervient en affinant le regard intérieur qui permet à l’Homme de discerner la présence de Dieu dans les événements ou dans la nature. L’Homme atteint la vérité par la raison parce qu’éclairé par la foi ainsi il découvre le sens profond de toute chose.

Le troisième chapitre à son tour développe intellego ut credam (no24-35) Quels que soient les genres de vérité, qu’ils s’agissent des vérités d’expérience ou de la vérité scientifique, de doctrines religieuses ou de doctrines philosophiques, la recherche de la vérité s’accompagne toujours d’un acte de foi, c’est-à-direde croyance. En effet, en tant qu’être social, l’Homme est incapable de tout vérifier et établir par lui-même. La croyance peut apparaître comme une forme imparfaite de connaissance ; mais elle recèle aussi une grande richesse humaine dans la grâce de connaître, non dans une évidence autarcique, mais dans la gratitude d’un rapport interpersonnel fondé sur la confiance.

Les rapports entre la foi et la raison sont développés dans le quatrième chapitre (no36-48). Dans ce chapitre, le pape Jean-Paul II reprend dans une perspective historique et critique les rapports qu’ont entretenus la philosophie et la religion. Il cherche à mettre en évidence le mutuel enrichissement de la foi et de la raison philosophique, soulignant la fécondité de leur coopération chez les Pères de l’Église et le caractère néfaste de leur progressive séparation depuis l’époque moderne.

Les interventions du magistère dans le domaine philosophique ont fait l’objet du cinquième chapitre de cette encyclique(no49-63). Le souci du Magistère était de souligner la nécessité de la connaissance rationnelle et donc de la philosophie pour l’intelligence de la foi : connaissance naturelle de Dieu et Révélation, raison et foi sont inséparables l’une de l’autre en même temps qu’irréductibles l’une à l’autre. D’où la résistance conjointe au rationalisme et au fidéisme. Le pape Jean-Paul II aborde ici une question relativement polémique : d’après quelle légitimité l’Église se permet-elle d’intervenir dans les débats philosophiques pour pointer du doigt certaines doctrines ou certains présupposés ? L’indépendance de la philosophie serait-elle menacée par cette intervention du Magistère qui, se faisant, sortirait de ces prérogatives ? Il était donc du devoir du Magistère de l’Église d’encourager une pensée philosophique qui soit en symbiose avec la foi et promouvoir les études philosophiques dans les écoles ecclésiastiques.

L’Interaction entre la théologie et la philosophie est au centre de cet avant dernier chapitre (no64-80). Le pape souligne et montre que  la Parole de Dieu s'adresse à tout homme, en tout temps et sur toute la terre ; et l'homme est naturellement philosophe. Pour sa part, la théologie, en tant qu'élaboration réflexive et scientifique de l'intelligence de cette Parole à la lumière de la foi, ne peut pas s'abstenir d'entrer en relation avec les philosophies élaborées effectivement tout au long de l'histoire, pour certains de ses développements comme pour l'accomplissement de ses tâches spécifiques. Le pape précise que la théologie s'organise comme la science de la foi, à la lumière d'un double principe méthodologique : l'auditus fidei et l'intellectus fidei. Selon le premier principe, elle s'approprie le contenu de la Révélation de la manière dont il s'est progressivement développé dans la sainte Tradition, dans les saintes Ecritures et dans le Magistère vivant de l'Église. Par le second, la théologie veut répondre aux exigences spécifiques de la pensée, en recourant à la réflexion spéculative.

Le chapitre sept est le dernier de cette encyclique (no80-100). Il veut souligner les Exigences et Tâches actuelles. Le pape commence par souligner les exigences impératives de la Parole de Dieu et poursuit en soulignant les tâches actuelles de la théologie.  Une double tâche incombe à la théologie aujourd’hui selon le pape Jean Paul II : d’une part, renouveler ses méthodes pour servir plus efficacement l’évangélisation ; d’autre part, viser audacieusement la vérité ultime proposée par la Révélation, sans se cantonner par principe à des tâches intermédiaires. En tant que présentation de l’intelligence de la Révélation et du contenu de la foi, la théologie a pour centre le mystère trinitaire de Dieu, auquel elle n’a accès que par celui de l’Incarnation du Fils, et plus précisément par le mystère pascal.

 

L’encyclique qui se termine, par une conclusion (no100-108), est une série de vibrants appels. Aux théologiens, pour qu’ils soient attentifs aux implications philosophiques de la Parole de Dieu et à la dimension métaphysique de la vérité, en vue d’un dialogue fructueux avec toute la tradition philosophique. A ceux qui ont la responsabilité de la formation sacerdotale, académique et pastorale de mieux préparer les futurs pasteurs par une formation philosophique solide. Aux philosophes et à ceux qui enseignent la philosophie d’être toujours en quête de la sagesse authentique et de la vérité philosophique et métaphysique. Aux scientifiques, de poursuivre leurs recherches scientifiques pour le bien de l’homme et de rester dans le sillage sapientiel. A tous, un appel de respecter l’homme sauvé par le Christ et en recherche constante de la vérité et du sens. Le pape finit par présenter la sainte Vierge Marie comme le Trône de la Sagesse et refuge de ceux qui font de leur vie une recherche de la sagesse.



[1] Jean Paul II, Fides et ratio, prologue

[2] Cf. www.vatican.va et www.wikipedia.org; Biographie de Jean Paul II

[3] Commission Théologique Internationale, Théologie aujourd’hui : perspectives, principes et critères, no63, 2012.

[4] Jean Paul II, Fides et ratio, no63.

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