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9 novembre 2011 3 09 /11 /novembre /2011 13:20

DEUXIEME PARTIE : ELABORATION CRITIQUE

 

I-                      CRITIQUE NEGATIVE 

La réflexion menée par Paul Ricœur est d’un grand apport sur la réflexion philosophique et théologique sur la question du mal. Toutefois, elle n’est pas sans limites notamment l’insuffisance de la considération ou de la définition du mal et le caractère mystérieux que révèle cette réalité.

 

1-                     Insuffisance de la considération du mal 

Paul Ricœur, après avoir analysé le mal propose des solutions possibles pour libérer l’homme de cette réalité scandaleuse. Il propose  notamment de penser, d’agir et de sentir sur un terrain politique et éthique.

Pour Cugno, l’agir qui prolonge la pensée et d’une certaine façon l’accomplit est désignée par Paul Ricœur comme étant la diminution de la violence et le soulagement de la souffrance.  Cette position à elle seule suscite trois interrogations : a) quels sont les domaines dans lesquels la violence s’exerce et peut être régulée ? Le texte suggère l’éthique et la politique. Pour Cugno, il y aurait également à ajouter la psychologie- la souffrance psychiatrique ou névrotique n’étant assurément pas moindres souffrances et sûrement liée, au moins dans certaines de ses formations, au sentiment de culpabilité. b) Que veut dire faire diminuer la violence ? La réponse n’est pas simple dès lors qu’on remarque que l’absence de violence signifie souvent  une violence plus grande encore pour la faire taire. D’autre part, la plainte librement  élevée contre Dieu et qui apparaît fort justement  à Paul Ricœur comme une spiritualisation  et une transformation  de la lamentation  peut aussi être lue comme une violence. c) Le soulagement de la souffrance comme telle, et notre temps est surement spécialement convoqué sur ce point, peut conduire à ce qui a été nommé le ‘‘paradoxe humanitaire’’ : le soulagement de la souffrance peut dans certains cas, rendre tolérable l’intolérable et donc s’enrôler involontairement à ses côtés. [1]

La dissociation établie par Ricœur du ne-devant-pas-être dans l’ordre de l’ontologie permet une véritable compréhension du mal moral, mais laisse quasiment de côté le mal physique. Elle présente une lecture inédite des mystères de la mauvaise volonté mais elle en coupe les liens avec le reste de la réalité.[2]

L’homme ne saurait porter sur lui ce fardeau que constitue le mal. La nature a ses lois où l’homme se soumet. Ce n’est plus un mal moral. Or Ricœur attribue le mal à l’homme qui en est le principal responsable en étant acteur ou victime. Il semble négliger les autres aspects du mal.

Le mal ne vient pas forcement d’une faute. Il peut surgir du simple concours des circonstances. Et là, pour Lucien Jeperphagnon, « il nous paraît absurde, car il contredit l’idée que nous pouvons nous faire d’un monde plus habitable. C’est d’ailleurs dans ce cas que la conscience se révolte, à moins que, par un très grand effort, elle ne se dégage de l’immédiatement éprouvé. »[3]

Roger Verneaux, ajoute  à cette insuffisance de définition du mal, le mal cosmique. C’est lui qui règne dans l’univers matériel, dans l’ordre des corps bruts, en vertu du seul jeu des forces de la nature. Les corps agissent et réagissent les uns sur les autres. Cela entraine leur dégradation et leur destruction.  C’est lui qui réalise au minimum le concept de mal. C’est un mal pour un arbre que d’être déraciné par l’orage, ou brulé par exemple.[4]

 

Le mal est déjà là dans la corruptibilité de la matière et la fragilité de la chair, dans l’injustice et l’oppression des structures sociales qui encadrent et contraignent l’individu, et surtout dans la disposition native de l’homme à la haine, ses penchants au crime. Et pour Miklos Veto, « la présence du mal préexistant qui déborde de tout côté la créature est exprimée par la grande doctrine ecclésiale du péché originel » [5]. Le péché originel signifie que l’homme entre dans le monde enclin à la transgression, complice de la tentation sur tous les pas de son être.

 

Ces limites sont ainsi une conséquence de l’appartenance religieuse et de l’influence kantienne. En effet, les écrivains protestants fascinés par la relation de la liberté humaine et la toute puissance souveraine de Dieu. L’idéalisme kantien, doctrine de la volonté nouménale, professe, lui aussi, la corruption de la nature humaine. Il explique que le mal n’est jamais à situer dans la matière, le corps, bref, dans les choses mais toujours dans la volonté. Plus exactement, dans la forme de la volonté, et non pas dans la matière. Une chose ou une action n’est jamais mauvaise en elle-même, elle le dévient  seulement en vertu de l’intention, d’un choix où la maxime de l’action n’est pas la loi morale voulue par elle-même. Le mal qui nous domine est radical mais il n’est pas absolu. Il n’a ni excuse, ni limite, mais il ne provient pas de l’ordre existant. Il ne saurait donc être attribué à Dieu, mais seulement à la créature libre.[6] Pourtant l’action de l’homme est déterminée par la nature, la société, l’environnement ainsi, il ne peut porter à lui seul ce fardeau du mal qui se présente toujours comme un mystère.

 

2-                     Le mal : un mystère

Le mal demeure un mystère  c’est pourquoi  il ne saurait avoir de solution efficace à ce problème de mal  et pour Lucien Jeperphagon tout comme Gabriel Marcel, le mal ne se pose pas comme un problème car il relève du mystère.

Pour Lucien Jeperphagon « au fond […] plutôt que de chercher des explications rationnelles à un fait étroitement impliqué dans un ensemble irréductible à la raison, il s’agit d’élever le débat, et de montrer que c’est au niveau de l’être et non du mal que se pose la première  et éternelle question »[7]

 Gabriel Marcel, ajoute à cela que, le mal n’est aucunement un problème, il est de bout en bout mystère.[8] Selon lui, nous devons abandonner l’idée que le mal est un problème et donc renoncer à l’espoir de résoudre ce problème. Le mal est inexplicable et incompréhensible. Le mal est un mystère.

Le mystère central est l’existence ou la présence du mal dans le monde. Quoi qu’on puisse dire, il restera toujours dans l’esprit une insatisfaction, une obscurité, un trouble, un scandale  car le  dernier « pourquoi ? » restera sans réponse. Seulement il faut remarquer, selon Roger Verneaux, que

« le mystère  (de l’existence) du mal n’est pas différent du mystère (de l’existence) du monde qui comporte du mal. Et à son tour le mystère du monde n’est pas différent du mystère de la création, qui nous conduit au mystère de Dieu, de sa liberté, de son amour, de sa providence ».

En aucun cas, la raison ne peut tout éclaircir parce que si elle pousse les questions assez loin, elle arrive à Dieu qu’elle ne peut comprendre.[9]

 

 

 

 

 

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9 novembre 2011 3 09 /11 /novembre /2011 13:04

LA CHASTETE COMME PUISSANCE D’AMOUR.

L’être humain créé à l’image et à la ressemblance de Dieu est doté d’une vocation fondamentale qui trouve son origine et sa finalité en Dieu : la vocation à la sainteté dans l’amour. Pour y parvenir à sa réalisation, il doit opérer un choix de vie selon les dons reçus. Certaines personnes sont conviées à la sainteté au moyen de la vie matrimoniale. D’autres par contre répondent au Seigneur à travers la consécration à la vie religieuse et/ou sacerdotale. Cette dernière qui se veut une suite radicale du Christ pauvre, chaste et obéissant exige du consacré une vie d’obéissance, de pauvreté et de chasteté dans le célibat. Mettant ainsi en exergue la chasteté qui est une caractéristique fondamentale pour la sequela christi. Celle-ci fait appel à l’amour d’où une nécessité pour nous d’examiner le rapport de la chasteté avec l’amour. En effet, peut-on parler de chasteté sans amour ? La puissance d’aimer manifestée par les consacrés ne découle-t-elle pas de la chasteté ?

Tout d’abord, parler de chasteté ne relève pas seulement du domaine de la vie consacrée et/ou sacerdotale. Tous les chrétiens sont appelés à mener une vie chaste, chacun selon sa vocation. La chasteté est la vertu qui nous permet d’intégrer notre sexualité. Elle n’est pas seulement pour les consacrés mais pour toute personne qui veut bien vivre sa sexualité. Elle nous permet de vivre notre sexualité de façon liberante et d’être uni à l’amour de Dieu qui dépasse toutes les dimensions de l’amour humain. Ainsi la chasteté concerne à la fois les mariés et les célibataires. Tel est l’enseignement de l’Église

« Ceux qui sont unis dans le mariage sacramentel sont un signe visible de l’amour de Dieu pour l’Église et de l’amour de Dieu pour l’humanité. Ils nous rappellent tous l’amour de Dieu, et le fait que tout amour vient de Dieu, car <<Dieu est Amour>>[1]. Et tout amour devrait ramener à Dieu. Les célibataires pour leur part, tout en renonçant au mariage, ne renoncent pas a l’amour. Ils sont témoins d’une façon spéciale de ce plus grand amour du Christ, dont le mariage lui-même est un signe. Ils rappellent à tous que l’amour conjugal, tout sacré qu’il est, est transitoire comme un moyen  vers cet amour parfait de Dieu et du prochain que nous devons nous efforcer d’atteindre et qui sera parfait dans la vie éternelle. L’amour conjugal et la chasteté parfaite doivent tous deux diriger le cœur vers l’éternité et l’amour accompli. Telle est la réalité à laquelle se rapporte la signification sacramentelle du mariage, comme aussi la vie de ceux qui se sont voués à la chasteté parfaite […]. Aussi, les vocations au mariage et au célibat, loin de s’opposer, se soutiennent à l’intérieur de la vocation chrétienne fondamentale qui est de rechercher la sainteté dans l’amour. »[2]

Les personnes consacrées, pour répondre pleinement à cette vocation à la sainteté dans l’amour se consacrent au Seigneur à travers les vœux de chasteté, pauvreté et obéissance. La profession du vœu de chasteté c’est se donner effectivement et affectivement sans division au Christ comme le principe unificateur de tout l’être et de toute la vie. Dans une communion intime et personnelle d’amour avec lui qui nous appelle, en manifestant par le désir ardent de le connaître, de partager sa pensée, ses intentions, ses préférences, son amour pour le Père et pour les petits et sa croix.[3] Ainsi, le célibat n’est pas une renonciation de l’affectivité et de l’amour. C’est la consécration à l’amour radical sans la médiation de la génitalité pour l’amour de Dieu et du prochain.

Le consacré promet le vœu de chasteté dans le célibat en vue du Royaume de Dieu. L’homme ne peut vivre sans amour, l’amour du consacré doit sans cesse être alimenté par l’amour de Jésus et orienté vers Dieu. L’amour de chasteté est un don que le Christ fait dans sa grande tendresse au consacré pour aimer toute personne en Lui. C’est un amour exigeant donné comme un trésor dans les vases d’argile. Cet amour a quelques caractéristiques spécifiques. Ce n’est pas un amour exclusif et possessif mais un amour ouvert à l’universel et à l’oblation, différent de l’amour conjugal.[4] L’amour de Dieu des consacrés se vit dans la relation avec ses créatures et devient donc un amour inclusif ou il ne faut exclure personne en particulier les marginalisés et les abandonnés de la société.

L’amour pour être total a besoin d’un renoncement ainsi le célibat ne comporte pas seulement la continence sexuelle et la renonciation à l’amour conjugal, mais aussi la renonciation à la paternité et à la maternité charnelle pour parvenir à l’amour spirituel, l’amour divin. C’est renoncer aux projets d’édifier une famille, avoir des enfants pour une nouvelle dimension de fécondité qui est la fécondité spirituelle. C’est renoncer au mariage pour aimer toujours plus mieux et toujours plus bien la personne du Christ dans sa totalité. Ceci implique une certaine conformation à l’amour du Christ et une imitation du célibat du Christ.

Le Christ, en effet, est le modèle de toute vie chaste. Jésus a aimé inconditionnellement tout le genre humain et s’est livré pour tous sans exception aucune et nous invite à aimer comme lui en nous offrant totalement car « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime». Il va manifester ce don d’amour en prenant chair de notre chair par son incarnation jusqu'à mourir de la façon la plus ignoble qui puisse exister : mourir sur la croix. Ainsi en Jésus nous voyons le modèle insurpassable et irremplaçable de l’amour comme don de soi ceci grâce à la chasteté qu’il vécut durant toute sa vie de façon concrète sans faire abstraction de son affectivité qu’il manifesta surtout envers les petits, pauvres, malades et pécheurs qui venaient à lui ou qu’il partait à leur rencontre.

En outre, la chasteté est don de Dieu pour le service. C’est avoir le cœur indivisé, uni au Christ et à son Église. C’est pour aimer que le consacré vit la chasteté. Il renonce à l’amour pour l’amour parfait ainsi, la chasteté qui ne conduit pas à l’amour est vaine et sans aucun sens. C’est pourquoi le célibat des consacrés devient le stimulant de la charité pastorale. Il fait croitre la charité pastorale et ouvre à aimer les autres dans leur besoin. Cette considération retentira pendant le Concile Vatican II qui déclarera que :

« la chasteté <pour le Royaume des cieux>[5] dont les religieux font profession, doit être regardée comme un grand don de la grâce. Elle libère singulièrement le cœur de l’homme[6] pour qu’il brûle de l’amour de Dieu et de tous les hommes ; c’est pourquoi elle est un signe particulier des biens célestes, ainsi qu’un moyen très efficace pour les religieux de se consacrer sans réserve au service divin et aux autres œuvres de l’apostolat. »[7]

La chasteté donne à l’amour fraternel le caractère de la délicatesse attentive et joyeuse. Elle permet de s’ouvrir à l’amitié vraie. Elle donne les forces et les capacités d’aimer tous ceux que la providence divine nous envoie. C’est le don de Dieu d’un cœur sans partage pour Dieu.

Par la chasteté, les consacrés deviennent signes visibles d’amour de la tendresse de Dieu pour l’humanité. Ainsi La virginité consacrée est totalement justifiée par l’amour et orientée vers l’amour. C’est la disposition à mieux aimer. C’est la libération pour un amour plus grand c’est-à-dire que toutes les forces, affectives et spirituelles sont consacrées à tout le monde. Cette force d’aimer est un temoignage qui doit être réitéré dans notre monde actuel comme nous le rappel bien le Bienheureux Jean Paul II dans son encyclique Vita Consecrata :

«La réponse de la vie consacrée réside d’abord dans la pratique joyeuse de la chasteté parfaite, comme témoignage de la puissance de l’amour de Dieu dans la fragilité de la condition humaine. La personne consacrée atteste que ce que la majorité tient pour impossible devient avec la grâce du Seigneur Jésus, possible et authentiquement libérant. Oui, dans le Christ il est possible d’aimer Dieu de tout son cœur, en le plaçant au-dessus de tout autre amour, et aimer aussi toute créature avec la liberté de Dieu !  Voilà l’un des témoignages qui sont aujourd’hui plus nécessaires que jamais, précisément parce qu’il est si peu compris par le monde. Il est offert à toute personne – aux jeunes, aux fiancés, aux époux, aux familles chrétiennes- pour montrer que la force de l’amour peut opérer de grandes choses à l’intérieur même des vicissitudes de l’amour humain. C’est un temoignage qui répond aussi à un besoin croissant de transparence dans les rapports humains.»[8] 



[1] 1 Jn 4, 16

[2] L’enseignement du Christ. Catéchisme catholique pour adultes. Ed. Tequi, Paris, 1978, pp. 521-522.

[3] J. Auby et al. Vita consecrata. Un dono del Signire alla sua chiesa, editrice Elle Di Ci, leumann, 1993 , P. 244

[4] Felicismo Martnez Diez, Refondare la vita religiosa. Vita carismatica e mission profetica. Ed. Paoline, , Milano, 2001, p.220

[5] Mt 19,12

[6] 1 Co 7: 32-35

[7] Vatican II, Perfectae Caritatis. n°12

[8] Jean Paul II, vita Consecrata, n° 88

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9 novembre 2011 3 09 /11 /novembre /2011 00:20
                                       INTRODUCTION

Depuis toujours, les hommes cherchent  à expliquer leur malheur. L’explication se situe le plus souvent sur le plan de la causalité efficiente et formelle (d’où vient le mal  et  ce qu’est que le mal) mais elle ne peut pas aboutir à une considération de sa cause finale : quel est le rôle du mal ? Ainsi, la question du mal, ante la vie des hommes : d’où vient le mal ?, pourquoi le mal ?, qu’est-ce que le mal ?,  qui en est le principal responsable : est-ce Dieu, les hommes, la société, la nature, les créatures démoniques ?, quelles sont les solutions pour sortir du mal ? L’homme s’est posé tous ces questions du mal  à travers tous ses modes de pensée, mythiques, philosophiques, religieux.

Le mal est quelque chose qui ne devrait pas être mais qui néanmoins existe. Empiriquement ressenti à travers la douleur, de convert dans l’effondrement et la destruction, il fait problème pour la métaphysique. Il déchire l’harmonie, il met fin à toute paix. Il force l’esprit à regarder en face l’ordre déchiré du cosmos, et finalement, à mettre en question l’intelligibilité de l’être lui-même.[1] Le mal est l’horreur, l’indicible, l’impardonnable, le scandale indépassable, l’indésirable, le génocide, l’exploitation, la misère, tout ce qui dans la vie quotidienne altère en chacun l’humanité.

Depuis les hauts accomplissements de la pensée antique, la philosophie enseigne l’unité voire l’identité de l’être et du bien, du réel et du vrai. Or le mal met en question cette unité, arrache le bien à l’effectif. Le monde est autrement qu’il devrait être et cette altérité est le mal.[2]

Le vingtième siècle, époque des guerres d’exterminations, des génocides, de l’apparition  de multiples menaces envers la vie même de l’humanité, n’abandonne pas la voie philosophique  pour cerner le mystère du mal. De nombreuses réflexions vont être faites. Paul Ricœur (philosophe français : 1913-2005) ne sera pas en reste de ce sillage réflexif.   Il mènera notamment des réflexions à travers ces ouvrages  Finitude et culpabilité (1960), Le Conflit des interprétations (1969) et en 1985, il présentera une conférence  à la Faculté de théologie de l’Université de Lausanne sur le mal. Le texte de cette conférence sera publié un an après sous le titre : Le Mal. Un défi à la philosophie et à la théologie aux éditions Labor & Fides. Pour Paul Ricœur, méditer le mal, c’est dire une faille. Car la liberté de l’homme est sommée à exister devant le mal. « Méditer sur le mal, c’est  pour Paul Ricœur et la tradition qu’il reprend, dire une faille au cœur de tout enfermement dans l’être, naturelle, et radicalement, s’adosser à cette rupture pour l’être,  être homme. »[3] À cet effet, le mal ne relève plus du temps, mais de ma liberté choisie par moi dans mon existence.

Le mal représente un défi à la philosophie et à la théologie. Tel est le motif de sa conférence qui ne cesse d’être encore aujourd’hui un champ d’investigation pour l’assoiffé de la vérité qu’est le philosophe. Poser ce défi revient à prendre la mesure de l’ampleur et du problème par une phénomelogie de l’expérience du mal.  C’est distinguer les niveaux du discours sur l’origine et la raison d’être du mal.

Nous ne pouvons manquer, nous aussi, de faire une analyse de cette pensée qui n’est pas encore sur le point de ne plus être pensée. Ainsi, notre travail considéra d’abord en première partie à présenter la pensée de Paul Ricœur sur le mal à travers une étude suivie de son œuvre. Il s’agira donc dans cette partie de présenter la conception du mal selon Paul Ricœur. L’expérience du mal : entre le blâme et la lamentation, la présentation des différents niveaux de discours dans la spéculation sur le mal : mythe, sagesse, gnose et gnose anti-gnostique, la théodicée et la dialectique brisée et en fin les solutions possibles : penser, agir et sentir. Puis en seconde partie, nous ferons une évaluation de la vision du mal chez Paul Ricœur en montrant les limites et la portée de sa pensée.

 



[1] Miklos Veto, Le Mal. Essais et études, l’Harmattan, Paris, 2000, p.9.

[2] Ibidem, p.10

[3]Paul Ricœur, Le Mal. Un défi à la philosophie et à la théologie, Labor et Fides, 3è édition,  Genève, 2004, p.15

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9 novembre 2011 3 09 /11 /novembre /2011 00:16

 

II- LES NIVEAUX DE DISCOURS DANS LA SPECULATION DU MAL

 

1-                     Le niveau du mythe

Dans la philosophie de religion, selon Rudolph Otto, l’ambivalence du sacré en tant que « tremendum fascinosum », confère au mythe le pouvoir d’assurer  aussi bien le côté ténébreux que le côté lumineux de la condition humaine. Bien plus, le sacré c’est ce qui nous attire et nous fait peur.

Le mythe porte l’’expérience des grands récits d’origine, de porté cosmique ou anthropogenèse devient une partie de la cosmogénèse comme en témoigne Mircea Eliade. En décrivant comment le monde  a commencé, le mythe dit comment la condition humaine a été engendrée sous sa forme globalement misérable. C’est pourquoi le problème du mal reviendra dans les stades ultérieurs, la crise majeure de la religion. La fonction d’ordre mythique est rapportée par Georges Dumézil à sa portée cosmique. Le domaine du mythe comme l’atteste la littérature ancienne est un vaste chantier d’expérimentation. Néanmoins, c’est par son côté folklorique que le mythe recueille le côté démonique de l’expérience du mal en l’articulant dans un langage. D’où vient la mal ? C’est la question posée par les philosophes et les théologiens.

 

2-                     Le stade de la sagesse

Est-il possible par le mythe de répondre aux volontés des hommes face à la souffrance qui est un mal ? Jusqu’à quand ? Pourquoi ? Or, la sagesse, parce qu’elle argumente nous disent Hegel et Kant, devait se muer en une immense contestation avec elle-même, voire en un dramatique débat des sages à l’intérieur d’eux-mêmes. Si par contre, le livre de Job, qui est un livre de la sagesse tient dans la littérature mondiale, la place qu’on sait, c’est d’abord parce qu’il prend en charge la lamentation devenue plainte et plainte portée au rang de contestation. Pour cela, il prend pour hypothèse de fable la condition d’un juste souffrant face au  mal, aux pires épreuves, il porte au niveau d’un dialogue puissamment argumenté entre le souffrant et ses amis. Le débat interne de sagesse,  aiguillonné par la discordance entre le mal moral et le mal souffrance. Ce livre ne nous donne aucune solution finale sur la théophanie finale de la souffrance. Malgré les vissicitudes humaines, on peut suggérer par le biais de cette sagesse que le regard de Dieu est celui d’un maître auteur du bien et du mal comme l’exprime le livre d’Isaïe (45,7) : « je forme la lumière et je crée les ténèbres, je fais le bonheur et je crée le malheur. »[1]

Le sage Job au vu de tout ce mal ne maudit plus Dieu mais retire ces paroles : « aussi je retire mes paroles, je me répands sur la poussière et sur les cendres »[2] Il semble que pour lui, Dieu n’est pour rien face à ce mal.

 

3-                     Le stade de la gnose et de la gnose anti-agnostique.

Dans ce stade, les forces du bien sont engagées dans un combat sans merci avec les armées du mal, en vue d’une délivrance de toutes les parcelles de lumière ténues captives dans les ténèbres de la matière. Toutes les figures du mal sont assumées dans un principe du mal. « C’est à la gnose, en effet, que la pensée occidentale est redevable d’avoir posé le problème du mal comme une totalité problématique : Unde malum ? (d’où vient le mal ?) »[3] Ce sont les gnostiques qui ont tentés de faire de cette question une question spéculative et de lui apporter une réponse qui soit science, savoir, gnose.

Si Augustin s’oppose à la vision de la gnose, c’est parce qu’il a pu empreinter à la philosophie néo-platonicienne un appareil conceptuel capable de ruiner l’apparence conceptuel d’un mythe rationalisé. Augustin retient que le mal ne peut être ténu pour une substance, parce que penser « être », c’est penser « l’intelligible », penser « un » c’est penser « bien ». C’est donc le penser philosophique qui exclut tout fantasme d’un mal substantiel. Mais chez lui, le mal rejoint l’idée du néant, celle de l’ex nihilo, contenu dans l’idée d’une création totale et sans reste. Un autre concept prend place, celui d’une distance ontique entre le créateur et la créature. Qui permet de parler de la déficience du créé en tant que tel, loin de Dieu et incliné vers ce qui à moins d’être vers le néant.

Ce premier trait de la doctrine augustinienne mérite d’être reconnu comme tel : celui de l’onto-théo-logie. La vision la plus importante de cette négativité substantielle du mal est que le mal fonde une vision exclusivement morale du mal.  De ce néant, il n’y a pas lieu de chercher une cause au-delà de quelques volontés mauvaises. Une vision purement morale entraine à son tour une vision pénale de l’histoire. Augustin est plus profond dans sa vision du mal que Pelage. Il perçoit que le néant de la privation est à même temps une puissance supérieure à chaque volonté. Mais pelage, selon Paul Ricœur, apparait plus véridique car il laisse chaque être libre en face de sa seule responsabilité. Cependant, Augustin et Pélage en offrant les deux visions opposées du mal moral laissent sans répondre à la protestation de la souffrance injuste, le premier en le condamnant au silence d’une inculpation en masse du genre humain, le second en ignorant au nom d’un souci hautement éthique de la responsabilité.[4]

 

4-                     Le stade de la théodicée

 L’existence du mal est toujours illustrée dans les récits de théodicée bien que la toute puissance de Dieu et sa bonté sont mentionnées. Or le but de l’argumentation est clairement apologétique : Dieu n’est pas responsable du mal. La théodicée au sens stricte est le fleuron de l’onto-théologie et la théodicée de Leibniz reste le modèle du genre dit Paul Ricœur[5].

Toutes les formes du mal, et aussi bien le mal moral comme l’exprime la tradition augustinienne, la souffrance et la mort sont prises en considération et placées à la dimension du mal métaphysique qui est le défaut  inéluctable de tout être créé. C’est encore une fois la lamentation, la plainte du juste souffrant qui ruine la notion d’une compensation du mal par le bien comme elle avait jadis ruinée l’idée de rétribution.  Le sens le plus rude bien que non fatal devait être porté par Emmanuel Kant contre la base même du discours onto-théologique sur laquelle la théodicée s’est édifiée d’Augustin à Leibniz. On reconnait la véritable opération de la théologie rationnelle écrite dans la Critique de la raison pure dans sa partie dialectique. Privée d’un support ontologique, la théodicée tombe dans une illusion transcendantale. Ceci ne signifie pas que le problème du mal disparaisse de la sphère philosophique mais en outre, il surgit de la sphère pratique comme ce qui ne peut pas être  et que son action est à éradiquer. Nous ne devons plus demander d’où vient le mal, mais d’où vient que nous faisons le mal. Avec Augustin en son temps, le problème de la souffrance est en relation avec le mal moral. Quant à l’origine du mal souffrance, elle a perdue toute sa pertinence philosophique. Le problème du mal radical, sur laquelle s’ouvre La Religion dans les limites de la simple raison rompt avec le péché originel en dépit de quelques ressemblances. Emmanuel Kant en ce sens serait plus pélagien qu’augustinien. Le principe du mal n’est aucunement une origine, au sens temporel du terme. C’est la maxime suprême qui serre de fondement suggestif ultime à toutes les maximes mauvaises à notre libre arbitre[6]. Cette maxime suprême fonde la propension au mal dans le genre humain pour ramener Kant chez Augustin : « il n’existe pas pour nous de raison compréhensibles pour savoir d’où le mal moral aurait pu tout d’abord nous venir »[7]

C’est le fond de la liberté humaine avec la sobriété d’une pensée attentive à ne pas dépasser la géographie de la raison entre penser et connaître un objet. Or la pensée spéculative ne se désarme pas face aux problèmes du mal. Kant ne bafoue pas la pensée de la théologie rationnelle, il la contraint à  user de toutes ses ressources dans la pensée telle que le font tous les philosophes de l’idéalisme allemand et bien d’autres. Celui d’Hegel est  bien plus  particulier car il apparait comme le philosophe de l’histoire par sa pensée dialectique. Dans la dialectique, la négativité assure le dynamisme. C’est le double sens de l’Aufhebung hégélienne : « la dialectique fait ainsi coïncider en toute chose le tragique et la logique : il faut que  quelque chose demeure pour que quelque chose de plus grand naisse[8] Dans cette lancée, le malheur est partout, mais partout dépassé pour rejoindre un point culminant dans la mesure où la réconciliation emporte toujours sur le déchirement. Hegel perçoit le  mal contenu dans l’accusation. Le pardon consiste dans la reconnaissance mutuelle de leur particularité et dans leur réconciliation.

« le oui de la réconciliation, dans lequel les deux Moi se désistent de leur être-là opposé, est l’être-là du Moi étendu jusqu’à la dualité, Moi qui en cela reste égal à soi-même, et qui dans sa complète aliénation et dans son contraire complet à la certitude de soi-même ; il est le Dieu  se manifestant au milieu d’eux qui se savent comme le pur savoir. »[9]

Ici, la question du mal au sens dialectique reste comme un optimisme, mais la vision rationnelle est plus grande. La réconciliation face au mal peut paraître comme une consolation qui s’adresse à l’homme victime. Bien plus, faut-il renoncer  à penser le mal ? La théodicée rejoint le stade premier avec le principe du meilleur de Leibniz et un second avec la dialectique hégélienne.

 

5-                     Le stade de la dialectique brisée.

Dans son fameux article intitulé Dieu et le néant, Karl Barth accorde que seule une théologie brisée s’engage dans la voie redoutable de penser le mal. « Brisée est en effet la théologie qui reconnait au mal une réalité inconciliable avec la bonté de Dieu et avec la bonté de la création »[10] il faut penser ici un néant hostile à Dieu, un néant seulement de déficience et de privation, mais de corruption et de destruction. Ainsi, nous rendons justice non seulement à l’intuition kantienne du caractère incurable du mal moral, entendu comme mal radical. On reconnait bien à  Barth cette intransigeance : « le néant c’est ce que le Christ a vaincu en s’anéantissant lui-même dans la croix »[11]. Bien loin en amont, en remontant du Christ à Dieu, il faut dire qu’en Jésus-Christ, Dieu a rencontré et combattu le néant et qu’ainsi nous connaissons le néant.

Une note d’espérance ici tient lieu : « la controverse avec le néant étant l’affaire de Dieu lui-même, nos combats contre le mal font de nous des cobelligérants.»[12] Bien plus, pour Ricœur, si nous croyons qu’en Jésus-Christ, Dieu a vaincu le mal, nous devons croire aussi que le mal ne peut plus nous anéantir : il n’est plus permis d’en parler comme s’il avait encore du pouvoir, comme si la victoire était seulement future.

III- PENSER, AGIR, SENTIR

 

1-                     Penser

Dans le domaine de la pensée, dès lors que nous avons quitté l’étape du mythe, le problème du mal en fin mérite un défi. « Un défi, c’est tour à tour un échec pour des synthèses toujours prématurées, et une provocation à penser plus et autrement ».[13] Que la question du mal soit  essentiellement aporétique convoque infiniment la pensée à tirer d’elle plus qu’elle ne pense, à penser au-delà d’elle-même. Aucune réponse logique ne pouvant être donnée, il convient cependant de ne pas lâcher prise et de transformer la logique pour la rendre moins inapte à saisir ce qu’elle ne peut pas ne pas considérer  comme son objet. Le mal est un aiguillon qui vient approfondir la logique comme elle ne n’aurait jamais pu le faire sans lui. Mais le discours et sa logique ne sont pas seuls en cause.  Le mal n’exige pas tant une solution qu’une « réponse destinée à rendre l’aporie productive, c’est-à-dire à continuer le travail de la pensée dans le registre de l’agir et du sentir »[14].

 

2-                     Agir

Face à l’agir, le mal est avant tout ce qui ne devrait pas être mais doit être combattu. Dans ce sens, l’action renverse l’orientation du regard et la pensée spéculative est tirée vers l’origine : d’où vient le mal ? Et la solution que faire contre la mal ? Et le regard est finalement tourné vers l’avenir « tout mal commis par l’un, nous l’avons vu, est mal subi par un autre. »[15] Cela signifie que faire le mal c’est faire souffrir l’autre. La violence ne cesse de refaire l’unité entre mal moral et  souffrance. « Dès lors, toute action, éthique ou politique, qui diminue la quantité de violence exercée par les hommes les uns contre les autres, diminue le taux de souffrance dans le monde »[16].  Cependant, il existe une autre source de souffrance en dehors des actions injustes des hommes, les uns envers les autres. Un au-delà du mal, le mal qui ne dépend pas des hommes, dont nous ne savons rien ou presque rien, et qui n’est peut-être pas le mal. Au point que Ricœur peut écrire : « avant d’accuser Dieu ou de spéculer sur une origine démoniaque du mal en Dieu même, agissons théoriquement et politiquement contre le mal »[17]. Le mal désigne une tâche à accomplir car Il faut prendre en compte des catastrophes naturelles, les victimes innocentes, des maladies endémiques et épidémiques qui sont des maux de la mort. l’agir devant le malheur, même en vue de la dimunition de la violence et de la souffrance qu’elle engendre, demeure désarmé devant la question des questions qu’il faut maintenant poser pour penser autrement : « non pas ‘‘pourquoi ?’’, mais ‘‘pourquoi moi ?’’La réponse pratique ne suffit plus »[18]. On notera, selon Cugno, que la virulence de la lamentation demeure ainsi jusque dans l’aporie même. Elle constitue l’aporie à travers tout, mais refuse du même mouvement que l’on s’en tienne à elle.[19]

 

3-                     Sentir

La plainte reste donc entière et non élucidée. C’est à cette irréductibilité même, et dans un mouvement qui la respecte encore, que le dernier moment du texte de Ricœur s’attaque. Il s’agit de transformer la plainte en autre chose, en toute autre chose. La voie qui est alors envisagée  n’est pas celle de la philosophie, à peine celle de la théologie, mais bien plutôt celle de la sagesse spirituelle. « Je voudrais considérer la sagesse, avec  ses prolongements philosophiques et théologiques, comme une aide spirituelle au travail de deuil, visant à un changement qualificatif de la lamentation et de la plainte. »[20] Cette nouvelle voie sur laquelle s’avance Paul Ricœur, c’est celle du sentir donc celle du sentiment.  Il faut entendre par là, fondamentalement, qu’elle ne peut s’enseigner : c’est un chemin qui, au moins dans ces étapes ultimes, « ne peut être que trouvé ou retrouvé »[21] il est selon Cugno « infiniment personnel et ne saurait donc apparaître comme une solution, ni même comme une réponse. »[22] Mais il importe de la désigner, parce qu’elle ouvre des possibilités, y compris conceptuelles, qui n’étaient pas contenues  dans les voies précédentes. On ajoutera que la voie du sentiment ouvre à l’affectivité. En effet, si la spiritualité a été appelée à l’aide du travail du deuil, le deuil lui-même se trouve défini dans des termes forts explicites « ce détachement que Freud appelle travail de deuil nous rend libres pour de nouveaux investissements affectifs. »[23] Ricœur spiritualise ainsi la plainte et nous offre une issue de sortie qui se trouve dans l’amour gratuit de Dieu. En effet, « aimer Dieu pour rien, c’est sortir du cycle de la rétribution, dont la lamentation reste encore captive, tant que la victime se plaint de l’injustice de son sort »[24]. Et c’est ce qu’a fait Job qui est arrivé à aimer Dieu pour rien. Aimer, désir pour rien, est pour Ricœur la fin de l’itinéraire.



[1] Ibidem, p.32.

[2] Ibidem,p.33.

[3] Ibidem

[4] Ibidem, p.38

[5] Ibidem, p.39.

[6] Emmanuel Kant, La Religion dans les limites de la simple raison, J. Vrin, Paris, traduit par J. Gibelin, 3è,                                              1965, pp 37-78.

[7] Paul Ricoeur, op.cit. p.44.

[8] Ibidem, p.45.

[9] Ibidem, p.47.

[10] Ibidem, p.51.

[11] Ibidem, p.52.

[12] Ibidem

[13] Ibidem, p.57.

[14] Ibidem, p.57-58.

[15] Ibidem, p.58.

[16] Ibidem,p.58-59.

[17]Ibidem,  p.59.

[18] Ibidem, p.60.

[19]Alain Cugno, op.cit. p.35.

[20] Paul Ricœur, op.cit. p.61.

[21] Ibidem, p.63.

[22] Alain Cugno, op.cit., p.36.

[23] Paul Ricœur, op.cit.P.60.

[24] Ibidem, p.65.

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9 novembre 2011 3 09 /11 /novembre /2011 00:03

 

Le Cercle de Vienne dans ces débuts a connu beaucoup de faiblesses. En effet, des nombreuses oppositions entre ses différents membres ont été un obstacle considération à son désir de faite l’unité de la science. A ces oppositions s’ajoute la dissolution du Cercle par l’avènement du nazisme hitlérien qui dispersa tous ses membres ayant une sympathie socialiste. Nous notons ici les critiques élaborés contre cette pensée néo-positiviste notamment celles de Quine, Popper et Putnam.

Karl Popper et Quine vont critiquer le positivisme logique à travers une analyse des sciences. « Cette analyse des sciences tourne autour de trois problèmes principaux : la place de la logique et des mathématiques dans l’ensemble des sciences ; le rôle de l’induction en science et la question de savoir si elle permet d’établir une démarcation entre les théories scientifiques et les propositions pseudo-scientifiques ; la controverse entre les interprétations instrumentaliste et réaliste des théories scientifiques.[1]

Pour les positivistes logiques du cercle de vienne : les vérités scientifiques dépendraient de l’expérience. Mais Popper dans la Logique de la découverte scientifique,  s’oppose à cette conception dès 1934 : les hypothèses scientifiques, conjectures  réfutables mais invérifiables par l’expérience, ne sont pas des généralisations inductives de données observables.

Popper a contesté le rôle prépondérant attribué à l’induction en science, tout en critiquant l’idée que seules les propositions « vérifiables » (même au sens large) possèdent une signification cognitive. Pour Popper, le critère de vérifiabilité ne saurait être le critère de démarcation entre les énoncés scientifiques et non scientifiques. Pour lui, le critère permettant de séparer les théories scientifiques des propositions non scientifiques, c’est la réfutabilité des premières. Mais d’autre part, il nie que la métaphysique soit pour autant dénuée de sens. Carnap a répondu que leur critère de démarcation respectif ne visant pas le même objet. Popper, de son côté, cherchait à distinguer entre les énoncés scientifiques et pseudo-scientifiques.[2]

Après la second Guerre Mondiale, Quine, Goodman et Putnam soumettaient la philosophie conventionnaliste à une critique dévastatrice. Dans les années 1950, Feyerabend, Hanson, Kuhn, Lakatos, et Toulmin ont rejeté carrément l’empirisme.

Quine, dans les Deux Dogmes de l'empirisme, a remis en cause la distinction entre énoncés analytique et synthétique. Pour lui, la doctrine linguistique des vérités logiques n’explique rien du tout. [3] Les positivistes logiques fondaient leur distinction entre le langage théorique et le langage observationnel sur l’observabilité des entités désignées par le vocabulaire. Quine maintient une différence (plutôt graduellement tranchée) entre les énoncés.[4] Quine procède par induction, à partir d’exemples tirés de l’histoire des sciences, pour remettre en cause l’idée qu’il existe des vérités a priori et irréfutables. Il critique radicalement les deux dogmes de l’empirisme logique : la distinction entre la vérité analytique (a priori et non révisables) et les vérités synthétiques (qui reposent sur l’expérience) ; et l’idée que les propositions scientifiques seraient vérifiables individuellement. Contrairement au second dogme, quine pense que les hypothèses scientifiques sont toujours confrontées à l’expérience collective. Contrairement au premier, il affirme que même les vérités logiques et mathématiques sont révisables, si l’ensemble de notre schème conceptuel entre en conflit avec certaines prédictions.[5] Quine n’abandonne pas pour autant l’empirisme, au contraire, simplement, il ne fonde plus la distinction, cruciale pour Carnap, entre les langages observationnel et théorique sur la question de savoir si les mots employés désignent ou non des entités publiquement observables.

Une autre critique, portant sur la dichotomie établie par Carnap entre les « énoncés observationnels » et les « énoncés théoriques », ainsi que sur l'espoir de Carnap de construire un langage formel, précis, sans passer par des termes imprécis, « pré-scientifiques », a été élaborée par Hilary Putnam, dans un article intitulé « Ce que les théories ne sont pas ».[6][] Celle-ci repose sur deux points principaux :

les « énoncés observationnels » ne désignent pas des choses seulement publiquement observables, mais aussi des entités non observables ; inversement, il y a des termes théoriques qui désignent des choses observables.

L’interprétation d'une expérience ne porte pas uniquement sur les « énoncés observationnels », mais aussi sur les « énoncés théoriques »: « la justification, en science, s'effectue dans toutes les directions possibles »; des énoncés observationnels sont justifiés par des énoncés théoriques et vice-versa. La critique poppérienne de l’induction a exercé une influence décisive sur l’attitude anti-empiriste de Feyerabend et de Lakatos.[7] Feyerabend est incontestablement celui qui s’est engagé le plus loin dans la démystification de l’objectivité scientifique : la science lui paraît finalement plus dogmatique qu’objective.


 

Au terme de cette analyse, que retenir du positivisme logique ? La monté du nazisme et les sympathies socialistes de la plupart de ses membres devaient les condamner à l’émigration. En 1930, Feigl part pour les Etats-Unis suivi de beaucoup d’autres- Carnap, Hempel, Frank, Reichenbach, Gödel, kaufman,- dans ce pays où le mouvement néo-positiviste  allait reprendre une nouvelle vigueur et servir d’inspiration aux travaux de Charles Morris et Ernest Nagel. L’influence du positivisme logique fut particulièrement forte en grande Bretagne -où Neurath avait trouvé refuge- avec Alfred Jules Ayer, Richard Bevan Braithwaite, Gilbert Ryle et John Wisdom,  de même qu’en Scandinavie avec Eino Kaila, Arne Naess et Jorgen Jorgensen. En Pologne, Alfred Tarski diffusa les idées du Cercle. La pénétration du mouvement fut relativement faible en France malgré les travaux précurseurs de Pierre Duhem et d’Henri Poincaré. Citons Jean Cavaillès, André Lautman, Louis Rougier, Jean-Louis Destouches et Marcel Boll qui furent en contact avec les membres du Cercle ou participèrent à leurs Congrès, sans nécessairement souscrire tous aux thèses néo-positivistes.

L’attitude radicalement antimétaphysique et le ton polémique de certaines déclarations  ont des le début suscité de fortes oppositions. A l’intérieur de Cercle lui-même la critique était forte vive et il est intéressant à ce propos de suivre l’évolution des œuvres de Schlick, Neurath et, surtout, Carnap. C’est que, malgré l’allure dogmatique de certaines prises de position, les positivistes logiques ont toujours considéré la philosophie comme une activité , une pratique visant à l’élucidation du sens et de la structure des énoncés , ainsi que le préconise Wittgenstein dans le Tratatus, et non comme l’élaboration d’un corpus de connaissances , qualifiées éventuellement de « philosophique », la science seule pouvant constituer un tel corpus. Mais cette activité doit obéir à certaines  règles ou « maximes » et celles-ci furent très tôt contestées. Dès 19344, Karl Popper, qui fut pour un temps associé aux discussions du Cercle, publiait sa Logique de la découverte scientifique. Son œuvre est incompréhensible sans le positivisme logique de même que celle d’épistémologues contemporains très importants comme Thomas Kuhn, Imre Lakatos, Paul Feyerabend, Williard Van  Orman Quine et Hilary Putnam.[8]

L’impulsion donnée par le néo-positivisme aux recherches logiques et épistémologiques est cependant frappante, indépendamment même de toute adhésion à une orientation philosophique. Le cadre qu’il fournit à une interprétation de la science est en effet beaucoup plus souple et ouvert que ne le croient ses détracteurs. Quant au rejet radicale la métaphysique initialement proclamé et à l’assimilation de la philosophie à une science positive, l’évolution postérieure montre qu’il est possible, en restant fidèle à l’essentiel de l’attitude néo-positiviste, d’en retenir seulement le principe et les moyens d’une démarcation rigoureuse du domaine de la pensée non scientifique.[9]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]Pierre Jacob,  De  vienne à Cambridge. L’héritage du positivisme logique,  p.10

[2]Pierre Jacob,  De  vienne à Cambridge. L’héritage du positivisme logique,  p. 17

[3]  Pierre Jacob,  De  vienne à Cambridge. L’héritage du positivisme logique, P. 31

[4] Pierre Jacob,  De  vienne à Cambridge. L’héritage du positivisme logique

[5]Pierre Jacob,  De  vienne à Cambridge. L’héritage du positivisme logique, P.61

[6]Pierre Jacob,  De  vienne à Cambridge. L’héritage du positivisme logique, P.241

[7]Pierre Jacob, De  vienne à Cambridge. L’héritage du positivisme logique , P.42

[8]  Encyclopédie philosophique universelle. Les notions philosophiques, p. 1999

[9] Gilles Gaston Granger, « Néo-positivisme » in  Encyclopaedia Universalis, p.183

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8 novembre 2011 2 08 /11 /novembre /2011 23:57

 La pensée du Cercle de Vienne est contenue dans leur manifeste sur la conception scientifique du monde. Le Cercle prend clairement position en faveur de la science et de la raison. Le but du cercle de vienne est de constituer un langage scientifique fondé sur deux ordres de vérités : celui de la logique (connaissances analytiques) dont les propositions ne sont pas liées à l’expérience et celui des faits (connaissances positives) d’où l’appellation « positivisme logique » attribué au Cercle.

1- La philosophie et la métaphysique 

Selon les positivistes logiques, la philosophie est une action, son but premier est de classifier les problèmes et les discours, son fondement est l’expérience. Sa méthode est l’analyse logique, sa langue est celle de la science. La « scientificité » de la philosophie est une des idées maîtresses du néo-positivisme. Le positivisme a en particulier voulu redéfinir les relations entre la science et la métaphysique. Les néo-positivistes veulent rapprocher la philosophie de la science, en exorcisant les faux problèmes qu’ils dénoncent sous le nom de la métaphysique. Ils proclament leur attachement à l’empirisme, c’est-à-dire à une philosophie qui attribue à l’expérience tout le contenu de notre savoir. Mais ils veulent, chacun à sa manière renouveler, ce thème vénérable de la tradition philosophique et en préciser le sens à la lumière de l’actuelle pratique scientifique.[1]

Le positivisme (d’Auguste comte ou celui du Cercle de Vienne), c’est d’abord l’espoir d’éliminer la métaphysique. Pour le positivisme logique, l’idéalisme allemand (hégélien ou heideggérien), c’est du non-sens. Ce sont des phrases, qui n’ont l’allure de propositions respectables, mais qui, comme le dit Wittgenstein, dans le Tratacus, sont dénuées de signification (unsinning)[2].

Selon le "principe de vérifiabilité " des positivistes, un énoncé est significatif si, et seulement si, on peut prouver qu'il est vrai ou faux, au moins en principe, par les voies de l'expérience. Les énoncés métaphysiques ne peuvent être prouvés au moyen d'expérience. Donc, les énoncés métaphysiques n'ont pas de sens.

La science, quant à elle, serait menacée par la métaphysique, simple mythe assimilable à la poésie. Carnap dira du métaphysicien qu'il est « un musicien sans talent musical ». Selon le positivisme, la plupart des énoncés métaphysiques ne sont ni vrais ni faux : ils ne seraient que « non-sens » (Unsinnig), dans la mesure où il ne s'agit ni d'énoncés analytiques, ni d'énoncés synthétiques empiriques et donc vérifiables par le recours à l'expérience, et qu'enfin l'existence, affirmée par Kant, des jugements synthétiques a priori est niée. Avec le passage du positivisme au positivisme logique, la critique de la métaphysique est passée d'une critique sur ses méthodes et ses thèses à une critique sur sa signification elle-même.

Le rejet de la métaphysique par le positivisme logique part du postulat que seul un langage empirique possède un caractère cognitif, et tente d’articuler ce postulat de façon précise, par la formulation adéquate d’un critère de signification, et de reformuler ensuite divers discours conformément à ce critère. La métaphysique dont l’objet consiste à exprimer les conditions les plus générales de l’expérience, lesquelles, par nature, ne peuvent être données sans aucune expérience particulière, se trouve ainsi rejeté d’emblé.[3]

Pour les positivistes logiques, la métaphysique fait deux types d’erreurs : le premier est de type sémantique : il consiste à introduire, dans l’énoncé un terme qui n’a pas de sens. C’est le cas de Dieu, l’Idée, l’Absolu, l’Etre de l’étant, l’Esprit Absolu… ils ne disent plus que « l’absolu ». Et le second est de types syntaxique : il consiste à agencer des mots qui ont une signification prise à part, pour former une phrase, qui n’a pas de sens. Ainsi la phrase « césar est un nombre premier » ou « néant néantit » sont des suites de mots dénués de sens, sans pour autant violer les règles de grammaire.

La tâche fondamentale de la philosophie est donc double ; d’une part, relier le langage philosophique à une base subventionnelle, et d’autre part, l’accorder à la syntaxe- logique.

2- La logique et le langage

Le néo-positivisme est né en vue de rectifier et de reconstruire la langue philosophique sur des bases empiriques et logiques. Les néo-positivistes s’occupent d’expliciter la fonction logique du langage, considéré comme source de tout l’aspect formel de nos connaissances.

La principale nouveauté du Cercle de Vienne consiste dans son usage de la logique développée par Frege et Russell pour l'étude des problèmes scientifiques. La conception de la philosophie est ainsi radicalement modifiée, pour se concentrer sur l'épistémologie et la philosophie des sciences : tout le reste ne serait que des faux problèmes pour lesquels on ne peut attendre aucune solution scientifique. La philosophie doit être la « logique de la science », c'est-à-dire examiner les théories scientifiques, et en dégager les relations logiques. Elle doit montrer comment le langage d'observation constitué par les « propositions protocolaires », ou « énoncés observationnels », fournit les prémisses sur lesquelles on peut déduire les propositions scientifiques, ou théoriques, proprement dites.

La logique va donc servir ici à distinguer le sens du non-sens : on utilise comme critère la théorie vérificationniste de la signification. Le sens d'une proposition est réduit à sa signification cognitive, autrement dit à la valeur de vérité de celle-ci : une proposition qui n'est ni vraie ni fausse est, selon le Cercle de Vienne, dépourvue de signification. C'est en ce sens que le positivisme affirme que les énoncés poétiques, ou métaphysiques, sont des énoncés sur le langage, et non sur le monde : ils n'ont pas de valeur de vérité, celle-ci dépendant d'une correspondance avec les faits empiriques.

Selon la théorie vérificationniste, la signification logique d'un énoncé dépend en effet de la possibilité de sa vérification empirique : « le sens d'un énoncé est la méthode de sa vérification » (Carnap[])[4]. Selon le positivisme, les énoncés se divisent en énoncés analytiques (les propositions de la logique et des mathématiques, réductibles à des tautologies) et en énoncés synthétiques, qui constituent les sciences empiriques. Les énoncés analytiques n'apprennent rien sur le monde, et sont vrais de par la signification des termes qui les composent (ainsi, « tous les célibataires sont non-mariés »). Ce sont des propositions sinnlos et non pas unsinnig: non pas « absurdes », mais « vides de sens »[5] []. Le réductionnisme logique de Frege et Russell montrerait alors, en réduisant à la logique mathématique les énoncés des mathématiques, que ces derniers sont formés de tautologies []. En se ralliant à Wittgenstein, Russell abandonne ainsi sa position de 1903 (dans Principles of Mathematics), où il considérait que Kant avait eu raison, dans la Critique de la raison pure, de qualifier les mathématiques de « synthétiques », mais qu'il aurait aussi dû accorder ce statut aux énoncés logiques[6].[]

Pour qu'un énoncé synthétique ait un sens, il faut donc qu'il porte sur un fait empirique observable. S'il n'est pas vérifiable à l'aide de l'expérience, alors c'est soit de la pseudo-science, soit de la métaphysique. Ainsi une proposition affirmant « il y a un Dieu » n'est ni vraie, ni fausse, mais tout simplement dénuée de signification, car invérifiable. L'empirisme logique divise ainsi les énoncés des théories scientifiques en « expressions logiques » et en « expressions descriptives » : ceux-là rassemblent les connecteurs logiques et les quantificateurs, et sont partagés par toutes les sciences, tandis que ceux-ci sont spécifiques à chaque science (par exemple le concept de « force », d'« électron » ou de « molécule ») [5]. Les termes descriptifs eux-mêmes se divisent en « langage observationnel » et en « langage théorique » : le langage observationnel désigne les entités publiquement observables (c'est-à-dire observables à vue nue, par exemple une « chaise »), tandis que le langage théorique comporte des termes désignant des entités non observables (ou plus difficilement observables, comme un « proton »)[7] [].

A partir de cette distinction entre les énoncés descriptifs observationnels et les énoncés descriptifs théoriques, la théorie vérificationniste de la signification en arrive à postuler qu' « un énoncé a une signification cognitive (autrement dit, fait une assertion vraie ou fausse) si et seulement s'il n'est pas analytique ou contradictoire et s'il est logiquement déductible d'une classe finie d'énoncés observables. » [5]

Par contre, le statut de la logique ne fait pas l'unanimité dans le Cercle de Vienne, et a été sujet à des changements de vues. Schlick défend une conception, proche de Wittgenstein, qui fait de la logique une activité et non une théorie. La logique ne pouvant rien dire de sensé, elle a seulement pour rôle de donner des éclaircissements sur les propositions scientifiques. Par conséquent, la théorie vérificationniste de la vérité, qui est censée distinguer le sens du non-sens, serait elle-même un non-sens.

Selon le cercle de Vienne, les formes de langage dans lesquelles il était baigné relevaient d’une construction des temps ancien se fondant sur certaines représentations métaphysiques de l’âme. A cela s’ajoutait les difficultés de fait, la plus part des concepts employés en psychologie sont bien insuffisamment définis. Ainsi, toute la théorie de la connaissance reste à refaire.

3- La science et le physicalisme

La conception scientifique du monde que cherche à promouvoir le cercle de vienne n’est pas seulement l’expression d’une volonté de vérification du discours philosophique. Elle a aussi pour but l’unification de la science. Pour atteindre ce but, il est nécessaire de construire l’ensemble des objets de la science à l’intérieur d’une science unifiée.

Si les sciences peuvent toutes se fonder sur les propositions protocolaires, alors les sciences auront une unité non seulement méthodologique mais aussi théorique. Il n'y a plus de raison de principe de distinguer les différentes sciences en fonction de leur domaine, comme le faisait Comte. Ultimement, d'après Quine, l'unité de la science repose sur l'unité du réel. Tous les phénomènes (biologiques, sociaux, culturels, etc) sont réductibles à des phénomènes physiques, c'est-à-dire qu'ils sont entièrement descriptibles à partir des lois fondamentales de la physique. Ce réductionnisme des sciences à la seule physique prend le nom de « physicalisme ». Le « physicalisme » s’inscrit dans la démarche du cercle de Vienne visant à éliminer radicalement la métaphysique comme dépourvue de sens.

1-      Les fondements physiques et géométriques 

La théorie de la connaissance a libérée les concepts principaux de la science de la nature des amalgames métaphysiques. En effet grâce à Helmholtz, Mach, Einstein et à d’autres les concepts suivants ont été purifiés : espace, temps, substance, causalité, probabilité. La substance matérielle s’est trouvée dissoute par la théorie des atomes et la théorie du champ, et la causalité, dépouillée de son sens anthropomorphique d’influence ou de connexion nécessaire.

Aussi, l’application de la méthode axiomatique entraine une séparation des composants empiriques de la science, des composants purement conventionnels. Le jugement synthétique à priori n’a plus de place ici. Si la connaissance du monde est possible, ce n’est plus parce que la raison humaine imprime à la matière sa forme, mais parce que la matière est ordonnée d’une certaine manière, mais le type et le degré d’ordre n’est connu d’avance. « La conception scientifique du monde ne rejettera pas le résultat d’un travail de recherche parce qu’il a été obtenu par des moyens insatisfaisants, qu’il soit insuffisamment clarifié du point de vue de la logique ou insuffisamment fondé du point de vue empirique. Mais elle s’efforcera toujours d’obtenir et de faire progresser la vérification par des moyens entièrement clarifiés, c'est-à-dire par la réduction direct ou indirecte du vécu »[8].

Les recherches de Gauss (1816), Bolyai (1853), Lobatchevski (1835) et d’autres ont conduit à la géométrie non euclidienne et amené à reconnaitre que le système géométrique classique d’Euclide, jusque là seule à dominer, n’est qu’un système parmi un ensemble infini de systèmes également justifiés logiquement. D’où la question laquelle des géométries est celle de l’espace du réel. Gauss s’est lancé dans cette recherche en mesurant la somme des angles d’un grand triangle ; la géométrie physique devient une science empirique. Le problème est étudié par Poincaré qui insistera sur le lien entre la géométrie physique et toutes les autres branches physiques. La géométrie va alors se développer progressivement jusqu’à se séparer de la géométrie purement mathématique.

2-      L’éthique et la politique. 

Par ailleurs, le positivisme logique, tout comme le positivisme, n'est pas sans préoccupations politiques. Proches du socialisme et de la social-démocratie, le Cercle de Vienne et la Société de la philosophie scientifique de Berlin identifiaient d'une part la lutte contre l'idéalisme allemand au projet global d'élimination de la métaphysique, et d'autre part considéraient leur critique comme une forme de résistance à l'irrationalisme de l'idéologie fasciste[9] []. Selon le manifeste de 1929, la science est une conception du monde à part entière, et pas simplement une discipline à laquelle on peut ou pas se livrer. La politique aussi doit renoncer à ses « dogmes métaphysiques » et être dirigée par des principes scientifiques : le projet comtien, précurseur de la technocratie, est repris. Neurath, notamment, a donné sa dimension politique au Cercle de Vienne.

Alfred Ayer critiqua ainsi, pour ce motif, l'idéalisme du philosophe britannique F.H. Bradley, dans son livre Language, Truth, and Logic (1936), qui popularisa les thèses du positivisme logique dans le monde anglo-saxon. Le critère vérificationniste était aussi destiné à être employé dans les sciences, pour pourchasser les énoncés métaphysiques qui y étaient encore présents. Ayer défendit par ailleurs une conception méta-éthique qualifiée d'émotiviste dans cet ouvrage, qui s'oppose à tout cognitivisme moral : les valeurs morales ne pouvant faire l'objet de propositions logiques, il n'est pas possible, selon lui, d'argumenter rationnellement en matière de morale.

Les problèmes éthiques furent relégués au second plan par les positivistes logiques. Schlick (1930), qui s’intéressa le plus à ces questions, tente de donner un statut cognitif aux propositions éthiques afin d’éviter qu’elles ne tombent sous le couperet du non-sens. Les prédicats « bien » ou « juste» sont utilisés pour exprimer nos désirs. On appelle « bon » ce qui, croit-on, va apporter la plus grande quantité de bonheur. L’étude de nos désirs fait l’objet d’une science, la psychologie. Il s’agit ensuite d’examiner les processus causaux, sociaux et psychologiques qui expliqueraient pourquoi les êtres humains ont tel ou tel désir et c’est là l’objet propre de l’éthique comme science. La majorité des néo-positivistes étaient opposés à Schlick et défendaient le statut non cognitif des énoncés éthiques.

   Pour le Cercle de Vienne, les connaissances sont de deux qualités ; d’une part les propositions analytiques, d’autres part, celles qui tirent leur contenu de l’expérience. Par ailleurs, d’après le Cercle de Vienne un énoncé n’a de signification cognitive, c’est à dire n’est susceptible d’être vrai ou faux, que s’il est vérifiable par l’expérience : c’est pourquoi on qualifie encore le cercle « d’empirisme logique ». Bref on peut résumer la pensée du cercle de vienne en trois moments principaux : l’unification de toutes les sciences dans l’empirisme et le logisme, ensuite réduire la philosophie à une simple théorie de connaissance, enfin, découvrir la nature des problèmes métaphysiques qui ne proviennent que d’un mauvais usage du langage.  Mais cette pensée néo-positiviste sera fortement critiquée.



[1] Giles Gaston Granger, « Néo-positivisme »,  Encyclopaedia Universalis, p. 182

[2] Pierre Jacob, De viennes à Cambridge. L’héritage du positivisme logique, Gallimard, coll. Tel, Paris, 1980, p.11-12

[3] Encyclopédie Universelle, les notions philosophiques, « positivisme logique », p. 2002

[4] http://fr.wikipedia.org/wiki/Empirisme_logique.

[5] Pierre Jacob, De Vienne à Cambridge, p.11

[6] Pierre Jacob, De Vienne à Cambridge, P.19-20

[7] Pierre Jacob, De Vienne à Cambridge , p.10

[8] Antonia Soulez, Manifeste du cercle de Vienne et autres écrits, PUF, 1985, Paris, P.123

[9] Pierre Jacob, De Vienne à Cambridge, p.11

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8 novembre 2011 2 08 /11 /novembre /2011 23:43

I-                      CRITIQUE POSITIVE

 

1-                     Le mal : appel à la responsabilité

 

Paul Ricœur, après examen des différents niveaux des discours dans la spéculation du mal, après de nombreuses analyses, arrive à la conclusion que le mal n’est pas une essence, mais un fait, qui donne à penser.  Et selon Jean Greisch, on pourrait même dire un « fait accompli », qui aurait tout aussi bien pu ne pas se produire. A l’encontre de toute approche essentialiste-ontologique (comme celle de la gnose) ou d’une anthropologie naturaliste (comme celle de Konrad Lorenz qui voit dans l’agressivité incontrôlée l’apanage de la nature humaine), Ricœur exige du philosophe qu’il reconnaisse que la faute « reste un corps étranger dans l’eidétique de l’homme »[1].  Cette analyse constitue un plus dans la réflexion philosophique qui ne cesse de scruter de fond en comble le problème du mal.

La conception ricoeurienne rejoint par là la pensée  rousseauiste et kantienne. Avec Rousseau, le mal se trouve ramené aussi bien dans son origine que dans son effet, aussi bien donc en tant que mal commis qu’en tant que mal subi, au seul horizon humain. La réalité du mal est anthropologique et non naturelle. Le mal n’appartient pas au monde : « le mal général ne peut être que dans le désordre, et je vois dans le système du monde  un ordre qui ne dément point. »[2] Pas de mal donc qui puisse revendiquer un être qui lui donnerait une fondation dans le cosmos. Quant  au mal particulier, « il n’est que dans le sentiment de l’être qui souffre, et se sentiment, l’homme ne l’a pas reçu de la nature, il se l’est donné»[3] . Le mal en tant que souffrance est entièrement subjectif. Or cette subjectivité n’est pas naturelle, elle n’existe pas dans le monde animal, ni même dans le monde d’un homme qui collerait à l’évènement à prendre du recul : « la douleur a peu de prise sur quiconque, ayant peu réfléchir, n’a ni souvenir, ni prévoyance ». Le mal est tout entier œuvre de l’homme, monstrueuse ajout à l’œuvre de la nature.[4] L’homme est grandement responsable du mal.

 

Paul Ricœur situe un lieu de combat du mal : l’éthique.  C’est à travers l’éthique et dans la vie politique que l’homme est appelé à lutter contre toutes les formes de violences et d’injustices. L’homme « n’est sujet que responsable »[5] C’est ainsi un appel à la responsabilité humaine. Cet appel s’inscrit dans une perspective levinassienne.  Pour Emmanuel Levinas, en effet, l’éthique est la philosophie première. « L’éthique est une optique »[6] qui lui permet d’élaborer sa pensée à la responsabilité. Par l’éthique, l’homme est appelé à être responsable d’autrui qui est unique. La responsabilité est une attention à autrui même devant le mal qu’il subi. [7] C’est un appel à l’amour gratuit pour autrui et pour Dieu au delà de toute souffrance qui puisse exister à travers la relation à autrui. C’est en effet à travers cette relation que le moi est brisé. 

« Dans cette expérience éthique, avec autrui, il y a la responsabilité qui se manifeste, car devant le regard de l’autre, je suis d’emblée obligé à son égard, je dois répondre de lui. Cette expérience d’autrui appelle, à la conscience morale, à se refuser toute violence à l’égard d’autrui. Elle est une expérience concrète qui nous engage- en tant que sujet moral- sans qu’il n’y ait entre autrui et nous un quelconque contrat. »[8]

C’est ainsi la valorisation de l’altérité et de l’amour qui sont des valeurs qui dépassent tout raisonnement philosophique.

 

2-                     Le mal : un défi à la raison

Le mal  reste un défi pour la philosophie et la théologie. Car la question du mal ne saurait être résolue. C’est la preuve de notre finitude  devant un être infini, de notre vulnérabilité, fragilité, faillibilité,  devant la toute-puissance de Dieu.  Mythologies et poétiques ne sauraient donc être rejetées hors de la pensée, puisque le langage de l'imaginaire cache et révèle un métalangage. Le mal sous toutes ses formes, malheur irréparable, crime inexpiable, contradiction des valeurs, fatalité de la mort qui égalise toutes les inégalités, ce mal ne devrait pas être, et cependant il ravage l'existence. La philosophie, dont la fonction est d'assumer puis de dissoudre, si elles sont de faux problèmes, ou de résoudre, si elles sont de vraies questions, les antinomies de l'existence humaine, et de remplir cette tâche par les seules ressources de la raison humaine, n'a pas manqué de s'éprouver elle-même en affrontant les antinomies que soulève la réalité du mal. Les doctrines sont multiples selon les âges et les cultures, mais les techniques de solution – du stoïcisme à l'hégélianisme en passant par le rationalisme des théologies classiques – relèvent partout des mêmes démarches fondamentales et du même type de discours : à partir d'une proposition majeure, considérée comme évidence première et qui identifie l'être et le bien, ce discours situe le mal par rapport au bien, en fait un moyen ou un moment dans le déploiement d'un être qui en lui-même est valeur, et, à force de relativiser et d'exténuer le mal, tend à le confondre avec un manque et une absence ; et, en effet, si le bien est l'être, en quoi le contraire de l'être pourrait-il se distinguer du néant ? Mais alors la solution du problème et sa dissolution risquent d'apparaître comme une seule et même chose.[9] Ricœur, à travers cette étude  a ainsi pensé le mal avec une profondeur et une délicatesse exemplaire

 


CONCLUSION

 

 Parvenu au terme de cette analyse, nous retenions que : chez Paul Ricœur le mal est « un défi à la philosophie et à la théologie » car poser l’existence d’un Dieu tout-puissant et bon en même temps que l’existence du mal, voilà bien l’incohérence. Cette contradiction, les théodicées tentent de la lever, la philosophie de l’affronter. Le  mal est alors associé à d’autres notions comme celle de péché, de souffrance, de mort et de culpabilité. A cette pluralité des mots attachés au terme mal s’ajoute la diversité des approches qu’il suscite. Penser le mal n’est pas suffisant, il faut agir pour soulager la souffrance et juguler la violence ; il faut sentir ce qui s’exprime à travers la plainte et la compassion pour mesurer les enjeux.  Le mal mobile tout l’existence et appel à plus de responsabilité :

« Je ne voudrais pas séparer ces expériences solitaires de sagesse de la lutte éthique et politique contre le mal qui peut rassembler tous les hommes de bonne volonté. Par rapport à cette lutte, ces expériences sont, comme les actions de résistance non violente, des anticipations en forme de paraboles d’une condition humaine où, la violence étant supprimée, l’énigme de la vraie souffrance, de l’irréductible souffrance, serait mise à nu »[10]

Mais la réalité du mal demeure un mystère qui ne pourra s’épuiser dans le champ du raisonnement philosophique qui se trouve incapable de parler devant certaines situations incroyables. C’est ce que nous laisse entendre Henri Bergson en ces mots :

« Le philosophe peut se plaire  à des spéculations de ce genre dans la solitude de son cabinet : qu’en pensera-t-il, devant une mère qui vient de voir mourir son enfant ? Non, la souffrance est une terrible réalité, et c’est un optimisme insoutenable que celui qui définit a priori le mal, même réduit à ce qu’il est effectivement, comme un moindre bien[11]

L’humanité juge la vie bonne est dans son ensemble, en dépit des misères qu’elle y subit et de fait elle tient à la vie malgré les heures douloureuses. Au-delà des misères qu’elle déplore, elle perçoit un bien qui vaut d’être voulu et défendu.

 

 

 

 

Ouvrage de base

 

RICŒUR Paul, Le Mal. Un défi à la philosophie et à la théologie, Labor et Fides, 3è édition,  Genève, 2004, 67p.

 

Ouvrage secondaire

BERGSON Henri, Les Deux sources de la morale et de la religion, Quadrige/Puf, 9è édition,                            2005, Paris, 340p.

CUGNO Alain, L’Existence du mal, Seuil, Paris, 2002,  278p.

GREISCH Jean, Paul Ricœur, L’itinéraire du sens, édition Jérôme Million,  Grenoble, 2001,                 445 p.

 

JEPERPHAGNON Lucien, Le Mal et l’existence, les éditions ouvrières, Paris, 1966, 123 p.

 

KANT Emmanuel, La Religion dans les limites de la simple raison, J. Vrin, Paris, traduit par                             J. Gibelin, 3è édition, 1965, 267 p.

LEVINAS Emmanuel, Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, Martinus Nijhoff,

La Haye, 1961

-          Ethique et infini, Dialogue avec Philippe Nemo, Fayard-France Culture, Paris, 1982

MARCEL Gabriel, Le Mystère de l’être I. Réflexion et mystère, Aubier, Paris, 1951, 237 p.

 

ROUSSEAU Jean Jacques, Emile ou traité sur l’éducation, Larousse, Paris, 1999, 367 p.

 

VERNEAUX Roger, Problèmes et mystères du mal, P. Téqui, Paris, 1956, 203p,

VETO Miklos, Le Mal. Essais et études, L’Harmattan, Paris, 200, 363 p.

 

 

Encyclopédies

Encyclopedia Universalis, corpus 14, Paris, 1989, 1058p.

http://fr.wikipedia.org/wiki/PaulRicoeur

 

Syllabus

Syllabus de l’Abbé Dr. Claude LAH, Question de Dieu, IPSJM, année académique 2009-2010



[1] Jean Greisch, Paul Ricœur, L’itinéraire du sens, édition Jérôme Million,  Grenoble, 2001, p.53.

[2] Jean Jacques Rousseau, Emile, traité sur l’éducation, Larousse, Paris, 1999, p. 224.

[3] Ibidem, p.225.

[4] Alain Cugno, op.cit. p.18-19.

[5] Paul Ricœur, op.cit.p.15

[6] Emmanuel Levinas, Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, Martinus Nijhoff, La Haye, 1961, p XII

[7] Emmanuel Levinas, Ethique et infini, Dialogue avec Philippe Nemo, Fayard-France Culture, Paris,1982, p. 101

[8] Cf . syllabus de l’Abbé Dr Claude Lah, Question de Dieu, IPSJM, année académique 2009-2010,  p.30.

[9] Etienne  Borne, « Mal »in Encyclopedia Universalis, corpus 14, Paris, 1989, p. 321.

[10] Paul Ricœur, op. cit. p.65.

[11] Henri Bergson, les deux sources de la morale et de la religion, Quadrige/Puf , 9è édition, , Paris, 2005, p.275.

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8 novembre 2011 2 08 /11 /novembre /2011 23:12

INTRODUCTION

 

L’expression « positivisme logique » introduite par Herbert Feigl désigne un mouvement philosophique associé principalement au Cercle de Vienne. On rencontre également les appellations d’ « empirisme logique » -qui se réfère à l’origine au groupe de Berlin- et de « néo-positivisme ». Le positivisme logique doit être distingué de la philosophie du langage ordinaire développé à Cambridge et Oxford sous l’influence de G. E. Moore et du « second » Wittgenstein (Recherches philosophiques). Le néo-positivisme, ou positivisme logique, ne constitue pas à proprement parler une école, ayant à sa tête un maître et attachée à un dogme, mais plutôt une attitude philosophique définie à l'origine par un groupe (le Cercle de Vienne) et aujourd'hui largement diffusée et diversifiée, en particulier aux États-Unis, en Grande-Bretagne et dans les pays scandinaves. C'est en réaction contre l'idéalisme issu des grandes philosophies post-kantiennes, alors dominantes dans le monde germanique, que s'est formé à Vienne, dans les années trente, par la rencontre de quelques savants et philosophes d'un exceptionnel talent, le Wiener Kreis (Cercle de Vienne). En présence des progrès éclatants de la physique entre 1905 et 1930, comparés au déroulement incertain de la philosophie contemporaine, ils estiment que l'âge scientifique n'a pas la philosophie qu'il mérite. Cependant, aucune orthodoxie véritable ne lie les membres du groupe viennois, qui, dès 1931, commence à essaimer, avec R. Carnap et P. Frank, nommés à l'université de Prague pour occuper respectivement une chaire de philosophie des sciences de la nature et une chaire de physique.

Le positivisme logique veut promouvoir « la conception scientifique du monde ». Celle-ci se définit par une double attitude vis-à-vis du discours philosophique : démasquer la simili problèmes » dans lesquels la philosophie s’est enfermée, puis transforme ces problèmes en problèmes empiriques, par là même soumis au jugement de la science de l’expérience.

Pour mener à bien notre réflexion sur le positivisme logique, nous ferons d’abord en première partie un parcours historique sur le positivisme logique en examinant l’héritage positiviste, l’héritage wittgensteinien et le cercle de Vienne. Puis en seconde partie, nous verrons la pensée de ce groupe viennois et nous ferons enfin un examen critique du positivisme logique en troisième partie.

 


I-          HISTORIQUE DU POSITIVISME LOGIQUE

 

1-        L'héritage positiviste 

Disons très rapidement que, le positivisme logique n’est pas un courant de pensée au sens strict du terme. Il se diffère avec le positivisme d’Auguste Comte fondé au XIXè siècle. Le positivisme logique est, du moins à ses débuts, un mouvement essentiellement germanique qui s’affirme en réaction à l’idéalisme allemand, avec comme prédécesseurs Bernard Bolzano (1781          - 1848), Richard Avenarius (1843 – 1896), Franz Bretano (1838- 1917), Ernst Mach (1838 – 1916). Le positivisme logique naît au confluent de la tradition empiriste selon laquelle l’expérience sensible, et elle seule, est susceptible de fournir un contenu de connaissance, et de ce qu’Alberto Coffa a appelé la tradition sémantique  qui culmine avec la nouvelle logique de Gottlob Frege (1838-1925), Alfred North Whitehead (1861-1947) et Bertrand Russell (1872-1970), dont les résultats furent appliqués par Ludwig Wittgenstein (1889-1951) dans le Tratacus logico-philosophicus (1921)[1].

L’influence D’Auguste Comte fut peu importante. Néanmoins, il reste certain que le positivisme de Comte comme science positive c’est-à-dire : « qui ne cherche de certitude que dans les acquis des sciences et leur méthode bien comprise » a eu des répercutions sur les fondateurs du positivisme logique.  Le positivisme logique renonce à donner des causes aux phénomènes et ne cherche qu'à donner des lois permettant de les décrire et de les prédire. Ceci rejoint la pensée d’Emmanuel Kant qui fait une claire distinction entre les phénomènes et les noumènes. Les premiers sont des faits autour de nous et donc ils sont intelligibles par contre les seconds (les noumènes) sont inintelligibles c’est-à-dire inconnaissable à l’homme. Et c’est ici que se situe le dénominateur commun du positivisme logique et celui d’Auguste Comte.

L’ambition première et fondamentale du positivisme logique ou néo-positivisme est de refonder la science. Jadis, la science avait pour principe l’explication des choses par la théologie et la métaphysique. Pour ainsi fonder une science digne de ce nom, il fallait donc rompre avec l’ancienne tradition. Dans cette tradition, le cosmos était conçu comme un mystère et donc pour l’expliquer et le rendre intelligible il fallait recourir aux causes mystérieuses des phénomènes c’est-à-dire des dieux. C’est dans cette nouvelle démarche que se situe la rupture totale entre l’ancienne tradition et le positivisme logique qui était en projet. Malgré toutes les difficultés et oppositions qui régnaient au sein de ce mouvement (Cercle de Vienne), le positivisme logique a eu une très grande influence dans presque tous les pays du monde. Cela est dû à cause de la pluralité des spécialistes dans chaque domaine ; les physiciens, Mathématiciens, les Sociologues,  les Psychologues, etc. Pour cette raison, le positivisme logique a aussi influencé la théorie de la relativité restreinte et générale développé par Einstein.

2-      L’héritage wittgensteinien 

Les positivistes logiques reçoivent avant tout l’héritage du Tractatus logico-philosophicus (1921) de Wittgenstein. Pour ce philosophe, le langage est l’image du monde, et la science n’est rien d’autre que l’ensemble des propositions qui le décrivent. Chacune de ces propositions est l’image d’un « fait », qui s’analyse par liaisons entre faits élémentaires, ou « états des choses », à chacun desquels correspond une proposition élémentaire qui en est l’image et qui consiste en l’association d’un prédicat et des noms qui s’y rapportent. Ainsi, la logique, c’est–à-dire l’aspect a priori  de la connaissance scientifique, se réduit à l’ensemble des contraintes qui règles l’usage des liaisons propositionnelles et l’usage des prédicats. La logique n’est rien d’autre qu’une « grammaire » de la langue qui décrit le monde.[2] 

La philosophie selon Wittgenstein est d’abord une activité plutôt qu’une doctrine. Et pour cette raison il rejette toute activité spéculative. Ce faisant, Wittgenstein s’inscrit dans la ligne de l’atomisme de Bertrand Russell qui préconisait que, une proposition est vraie quand elle correspond à la réalité qu’elle énonce et dans le cas contraire elle est fausse. Tel est l’objectif fondamental du Cercle de Vienne qui postulait que toute philosophie ou pensée se base sur le langage. Le langage selon ce Cercle doit être pris au sérieux dans le souci d’éviter toute sorte d’ambiguïté. A cet effet, tout langage pour être considéré pour vrai doit être expliqué et clarifié. Et cette analyse de la clarification des concepts tend à donner un sens concret à la réalité et éviter tous les problèmes de la métaphysique qui dérivent du mauvais usage de la langue. C’est cette vérifiabilité des énoncés qui a donné naissance au positivisme logique prôné par Carnap et Frege soutenu par la suite par Wittgenstein dans le Tractatus logico-philosophicus et dans ses Investigations philosophiques. Les néo-positivistes en retiendront que l’analyse du langage est la seule voie d’accès à la logique et que l’appareil de la logique symbolique est l’instrument que doit appliquer le philosophe à l’élucidation de tout énoncé quel qu’il soit.

3-      Le Cercle de Vienne 

 Le Cercle de Vienne désigne un cercle philosophique appelé aussi « Association Ernst Mach »[3] fréquenté par les principaux représentants viennois du mouvement néopositiviste. Le Cercle de Vienne est donc un mouvement philosophique qui prend partie pour la science et la raison tout en dénonçant par ailleurs la métaphysique et la philosophie spéculative qui prétendent connaitre le monde mais ne sont que les jeux de l’esprit. Le Cercle commence à se réunir à partir de 1925 sur l’initiative du philosophe et physicien allemand Moritz Schlick qui avait pris la chaire de philosophie des sciences inductives de l’université de Vienne en 1922, autrefois occupé par Ernst Mach et Ludwig Boltzmann (1882-1936). En 1929, le Cercle publie un manifeste : la conception scientifique du monde. Parmi les autres membres du Cercle de Vienne, on note particulièrement : Wittgenstein (1889-1951) dont le livre Tractatus logico philosophicus est lu par le Cercle comme une Bible en 1926 et va fortement influencer le courant du positivisme logique. Rudolf Carnap (1891-1970) qui est un logicien allemand qui fut appelé en 1926 par Schlick pour faire partie du Cercle de Vienne, dont il devient par ailleurs le membre le plus extrémiste. Il publie entre autres, la structure logique du monde, en 1928 ; l’esquisse de la logistique en 1929 ; syntaxe logique du langage en 1934. Parmi les autres membres nous notons par ailleurs : Hans Hahn, Kurt Godel, Eino Kaila, Otto Neurath, Victor Kraft. La plus grande partie des productions du Cercle de Vienne fut publiée dans la revue Erkenntnis. Le Cercle de Vienne entend rendre son mouvement public. En effet, le cercle n’est pas seulement un manifeste de philosophie, mais une philosophie qui se veut tout entière un « manifeste »[4]. Il s’agissait donc d’un petit nombre de scientifiques aux spécialités différentes qui se réunissaient sur mode amical et informel, pour échanger les idées de préférence dans des lieux non académiques, comme certains cafés de Vienne. Ils se refusaient d’ériger en système doctrinaux les résultats de leur réflexion. Ils donnaient à leur rencontre un style de club, un « club » transformé en quelque chose qui ressemble à un parti politique[5].

Le Cercle de Vienne ne connait aucune organisation rigide ; il est composé de personnes que réunit une même attitude scientifique fondamentale. Dans les travaux et les discussions du Cercle de Vienne, on traite des problèmes différents issus de différentes branches de la science. Le Cercle de Vienne pris fin en 1936 quand Schlick fut assassiné par un étudiant Nazi.



[1] Encyclopédie Philosophique Universelle. Les notions philosophiques II, « positivisme logique », PUF, Paris, p. 1999

[2] Gilles Gaston Granger, « Néo-positivisme » in Encyclopaedia Universalis, p.182

[3] Cf J.Montenot, Encyclopédie de la philosophie, p. 253

[4] Antonia Soulez, Manifeste du cercle de Vienne et autres écrits, PUF, 1985, Paris

[5] A-J Ayer, Logical positivism, 1959, Introd., P. 4

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4 juillet 2010 7 04 /07 /juillet /2010 22:49

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par dourweber

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4 juillet 2010 7 04 /07 /juillet /2010 21:47

PREMIERE PARTIE : LE MAL   CHEZ PAUL RICOEUR : UN DEFI A LA PHILOSOPHIE ET A LA THEOLOGIE 

 

            Conformément à ce que suggère le titre, le point de départ de Paul Ricœur est la reconnaissance que « philosophie et théologie rencontrent le mal comme un défit sans pareil. »[1] Il s’agit bien d’un défi à la philosophie et à la théologie, parce que la tradition dans laquelle nous pensons est celle de l’Occident juif et chrétien. Or cette tradition est aussi théologique puisse qu’elle pose l’existence d’un Dieu tout- puissant et bon. Elle pose également l’existence du mal. Mais dès lors elle rencontre la plus grande difficulté à maintenir sa cohérence, puisque les trois propositions ne peuvent être pensées que deux à deux (rien de contradictoire en un Dieu tout-puissant et bon, ni dans un Dieu bon impuissant devant le mal ; mais un Dieu tout –puissant  et bon existant en même temps que le mal, voilà bien l’incohérence).

C’est pourquoi la tradition a eu la tâche difficile de tenter diverses théodicées, diverses tentatives pour justifier Dieu, pour l’innocenter du mal. En leur fond, les théodicées sont donc des entreprises logiques, visant à réduire une contradiction.

Si dans le conteste où elle s’est constituée, la question du mal est apparue aussi énigmatique, et aussi riche, c’est parce que les trois thèmes apparemment disjoints du péché, de la souffrance, et de la mort ont été saisis ensemble, enchevêtrés dans une seule thématique. Conceptuellement, ce qui se présente d’emblée, c’est au contraire une bipolarité : d’une part le mal commis, enchaînant sur le péché, le blâme et la punition, d’autre part le mal subi enchaînant sur le cri de souffrance et la lamentation.  D’où vient alors que le mal est apparu comme la racine commune du péché et de la souffrance ? Pourquoi cette communication souterraine vente la faute et la souffrance, et pourquoi identifier  cette profondeur à l’unité du mal ?

C’est d’abord, dit Paul Ricœur, qu’il y a entre la culpabilité et la souffrance une prodigieuse intrication qui trouve son apogée et le lieu de sa lisibilité dans le mal que l’homme peut faire à l’homme : alors le mal commis est immédiatement perçu comme souffrance[2] ; même si ce n’est pas le même individu qui accomplit et subit. « Le mal commis par l’un trouve sa réplique dans le mal subi par l’autre ; c’est en ce point d’intersection majeur que le cri de la lamentation est le plus aigu, quand l’homme se sent victime de la méchanceté de l’homme. »[3]

L’homme est de part sa substance fait pour résister devant le mal. « Le mal n’est pas lié à l’énigme d’un surgissement, d’un surgissement qui ne fait pas nombre avec les simple choses du monde venant se ranger dans l’espace et le temps. »[4]  Il est un acte humain

     Bien plus, chez Ricœur « le mal n’est pas une chose, un élément du monde, une substance en ce sens-là ou une nature. »[5] Nous remarquons ici comment Paul Ricœur perçoit le mal comme un accident qui vient se greffer à la substance. Car d’après lui, si « le mal était le monde, le mythe serait un savoir »[6] et tout savoir doit commencer par une critique afin d’arriver à la vérité. C’est pourquoi on peut faire le mal, et être responsable de son acte, le porter avec soi puis en faire une lutte et le combattre définitivement. C’est en fin de compte que le mal ne se perçoit ni du côté de  la sensibilité, ni dans l’acte de la raison. Ainsi, le mal dans cette perspective lointaine est inscrit au cœur même du sujet  humain.

 

 

 

I-          L’expérience du mal : entre le blâme et la lamentation

 

Ce qui fait toute l’expérience de l’énigme du mal c’est que nous la plaçons dans le même registre du péché,  la souffrance et la mort. La souffrance devient comme une référence aux enjeux du mal, de même que le péché. Dans l’approche du terme mal moral, le péché désigne ce qui fait de l’acte de l’homme un objet d’imputation, d’accusation, et de punition. « L’imputation consiste à assigner à un sujet responsable une action susceptible d’appréciation morale. »[7] Le blâme quant  à lui vise un jugement de condamnation en vertu du quel le sujet de l’action est déclaré coupable et mérite d’être puni par autrui. D’où le mal moral interfère avec la souffrance dans la mesure où la punition est une souffrance infligée. La souffrance se distingue du péché par des traits contraires. La souffrance nous affecte tandis que la mal ne nous affecte pas. La souffrance se caractérise comme pur contraire du plaisir, comme non plaisir, c’est-à-dire comme diminution de notre intégrité physique, psychique et spirituelle. Le mal quant à lui, devient le plus déplaisir de Dieu au plus plaisir humain. Cela étant, qu’est-ce qui, en dépit de cette irrécusable polarité,  pousse le philosophe et le théologien à penser le mal comme racine commune du péché et de la souffrance ? C’est tout simplement parce que tous deux ont un dénominateur commun quoi est la punition. En réalité, faire le mal c’est toujours à titre direct ou indirect faire tord à l’autre, donc le faire souffrir. En ce sens Ricœur pense que « le mal commis par l’un trouve sa réplique dans le mal subi par l’autre, c’est en ce point d’intercession majeur que le cri de la lamentation  est plus aigu, quand l’homme se sent victime de la méchanceté de l’homme »[8] D’où avec Karl Marx, l’aliénation résulte de la réduction de l’homme  à l’état de marchandise.

Du côté du mal moral, l’incrimination d’un agent responsable isole d’un arrière fond ténébreux la zone la plus claire de l’expérience de culpabilité. Le mythe ne fera qu’exprimer le sentiment d’appartenir à une histoire du mal, toujours déjà là pour chacun. Si la punition est une souffrance réputée, méritée, qui peut en savoir si toute souffrance ne saurait d’une manière ou d’une autre la punition d’une erreur personnelle ou collective connue ou inconnue ? Cette question se fait d’un état factuel dans nos sociétés face au délit du mal. Tel est le sens jamais compris qui fait du mal une unique énigme qui débouche à des niveaux de discours.



[1]Ibidem, p.19.

[2] Alain Cugno, L’Existence du mal, Seuil, Paris, 2002, p.22.

[3] Paul Ricœur, op. cit. p.24

[4] Ibidem, p 11

[5] Ibidem, p.13

[6] Ibidem,

[7] Ibidem, p.22.

[8] Ibidem, p.24.

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